Problématique

Pour construire notre problématique nous sommes parti d’un questionnement a priori relativement large et simple mais qui a posteriori, au fil du terrain et des recherches théoriques, s’est avéré à la source d’une rivière de questions : qu’est-ce que le vivre ensemble carnavalesque ? Qu’est-ce qui lie plus fortement les hommes entre eux dans le carnaval que dans l’univers du quotidien ? Et Quels sont les enjeux de ce lien alternatif ?

En d’autres termes : qu’est-ce qui fait que le carnaval constitue un moment cyclique humain à part dans la rationalité linéaire du quotidien?

Et pourquoi ? Quels en sont les conditions et les enjeux ?

Nous pourrions tout d’abord ouvrir une piste de réponses à ce questionnement à partir de cette idée de Maurice Godelier : « le rapport social, quelqu’il soit, inclut une part idéelle, un part de pensée, de représentation ; ces représentations ne sont pas seulement la forme que revêt ce rapport pour la conscience, mais fait partie de son contenu 12 » et de poursuivre « s’il y a de l’idéel dans tout le réel social, tout n’est pas idéel dans ce réel 13 ».

Pour préciser notre question initiale, est-ce juste alors de qualifier d’idéelles toutes les représentations que les hommes se font d’eux-mêmes et du monde qui les entoure, et précisément celles qui sont déployées dans l’univers carnavalesque ?

Mais pour développer un ensemble de réponses plus avancés ou pour tenter de poser les jalons théoriques à cette problématique, il est nécessaire de se doter d’un cadre d’analyse ; composé d’un ensemble de concepts permettant à la fois de clarifier et de définir un ensemble d’éléments constitutifs de ce modèle. Ces concepts détermineront les dimensions objectives qui structurent notre interrogation et rendront compte du réel, tout en contribuant à situer la limite du champ d’investigation.

C’est en proposant une représentation conceptuelle que nous formuleront nos hypothèses à la question posée initialement.

Notre concept focal, dans la mesure où il constitue le terme de notre questionnement, est le « vivre ensemble ».

Cette notion de vivre ensemble est entendue comme un vivre ensemble distinct d’un vivre ensemble ordinaire puisqu’il est saisi dans un univers singulier, extra quotidien, celui festif du carnaval.

Apposer le concept de vivre ensemble sur une fête telle que le carnaval, à la fois induit et permet une construction et une vision originale dudit concept. Ce qui l’extrait de ses conditions et de ses déterminations logiques, rationnelles et raisonnable qui qualifient le monde du quotidien.

Toutefois, afin de poser les limites de notre recherche, nous avons distingué ce concept de vivre ensemble, à l’appui des propos de Michel Agier dans son  Anthropologie du carnaval  en deux idées constituantes et constructives : l’être ensemble et l’agir ensemble.

« L’efficacité symbolique se mesure à la capacité des rites à former une identité et à traiter, sinon résoudre, certaines questions sociales et politiques sensibles pour la population concernée 14 ».

Nous avons ensuite décliné chacun de ces concepts en deux voies théoriques similaires à l’aide des notions d’identité et de politique : qu’est-ce que, dans l’univers précisément carnavalesque, l’être ensemble d’un point de vue identitaire et d’un point de vue politique, et qu’est-ce que l’agir ensemble vis-à-vis d’une conception identitaire et vis-à-vis d’une pensée politique ?

En s’en tenant provisoirement à l’identification de ces concepts comme fondement de notre objet d’étude et comme système construit abstraitement et fonctionnant selon une logique spécifique, nous entendons par identité culturelle ce qui est donné et se donne à voir comme une série d’éléments culturels et sociaux offerts objectivement comme préceptes de reconnaissance culturelle. Nous saisissons également la notion de politique comme ce qui concerne l’ensemble des citoyens et de la vie collective de la cité.

Ce qui pose d’emblée une interrogation concernant la notion d’agir ensemble hors du monde cadré du carnaval, c’est-à-dire hors du temps et de l’espace concédé à la fête cyclique : le temps « ordinaire », celui-là même de la quotidienneté.

Notes
12.

Maurice Godelier, L’idéel et le matériel, Paris, Fayard, 1984, p. 171.

13.

Ibidem, p. 172.

14.

Michel Agier, op.cit., p. 119.