Nous sommes donc parti d’un postulat simple, à savoir que du fait qu’ils sont rassemblés et identifiés en une entité publique, les hommes entretiennent entre eux un rapport politique ; la notion politique aristotélicienne du « vivre ensemble » étant à la genèse de notre problématique. Dans sa politique, Aristote envisageait en effet l’homme comme un être « naturellement » politique dès lors qu’il vit avec ses semblables.
Cette interprétation large nous permet alors de ne pas limiter la notion de politique aux seules organisations et structures spécialisées.
Notre hypothèse repose alors sur une assimilation de l’univers carnavalesque en une communauté humaine soumise à des règles communes, qu’elles soient de l’ordre de l’interdit, du tabou ou de la coutume et subordonnée à un pouvoir.
En questionnant le carnaval d’un point de vue politique, nous nous sommes interrogé alors de manière plus générale sur les notions de règle et de pouvoir.
Mais avant de formuler un ensemble de réponses à ces interrogations,il conviendrait en amont de s’intéresser à ces questions : d’une part, comment et pourquoi l’univers carnavalesque parvient-il à « s’autonomiser » vis-à-vis de la réalité quotidienne courante ? Qu’est le monde imaginaire du carnaval par rapport à la rationalité de la vie ordinaire ?
Et d’autre part, pourquoi cette paradoxale « permission » cyclique d’un désordre social ? Peut-on alors penser le carnaval en termes d’ordre et de désordre ?
La trame de notre problématique, et donc de notre travail, s’est en effet élaborée sur le socle conceptuel du couple ordre et désordre, à partir notamment de L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance du critique russe Mikhail Bakhtine, qui avance que le carnaval est un phénomène sociologique manifestant des caractères d’opposition dialogiques : « le rire carnavalesque » est « ambivalent ». « Il est joyeux, débordant d’allégresse, mais en même temps il est railleur, sarcastique, il nie et affirme à la fois, ensevelit et ressuscite à la fois 21 ».
Ainsi, c’est autour de cette complémentarité dialectique que nous avons articulé notre travail.
La question du carnaval doit alors elle-même être reconnue dans sa dimension pleinement politique.
Il appartient par conséquent à l’anthropologie politique de répondre à notre problématique.
Mikhail Bakhtine, op.cit. p. 20.