1- Carnaval de Cayenne, en Guyane française

Après avoir économisé en travaillant de nuit dans un hôtel de luxe et en donnant quelques cours, le jour, à l’université, je parviens sur le sol américain du sud, mais en terre française, à la fin de la saison des mangues, le 3 janvier 2002.

Aéroport de Cayenne-Rochambeau, le cousin d’une vague connaissance de mes parents que je ne connais absolument pas, est là pour m’accueillir. Je n’ai pas d’endroit où dormir, il me propose alors de loger chez lui à Saint-Laurent-du-Maroni, le temps de trouver un pied à terre à Cayenne.

Trois heures de route dans la nuit avec pour seul paysage une forêt sombre et indistincte, après les neuf heures d’avion, ajoutées à un décalage horaire de quatre heures : je lutte contre le sommeil.

Admirablement reçu par ce couple, que je n’aurai de cesse de remercier, je passe trois nuits chez eux avant de me faire véhiculer vers la capitale de ce département, Cayenne.

J’ai néanmoins le temps d’assister au premier défilé carnavalesque de l’année à Saint-Laurent-du-Maroni, sous la pluie, et de me familiariser avec les costumes, les musiques et la manière singulière de défiler des carnavals guyanais.

Très irréguliers et hétéroclites, les petits groupes passent dans la rue, accompagnés de quelques tambours en fût de plastique ou autres percussions, sans véritable constante, ni thème tégumentaires, le tout sous une pluie soutenue.

La ville semble se réveiller tout doucement d’une trop longue année de monotone quotidienneté, avant les irraisonnées et exubérantes folies carnavalesques à venir…auxquels j’assisterai à Cayenne, le centre institutionnel, semble-t-il, d’un vivre ensemble spontané proprement carnavalesque.

Mon premier pied à terre fut une chambre dans un couvent que je louai fort cher. Mon budget étant extrêmement serré, je ne pouvais le vider en quelques nuits. Les hôtels également bien au-delà de mes moyens, climat clément malgré la période de l’année 35 , je dus me résoudre à passer quelques nuits à la belle étoile dans cette ville étrangère. Un bout de plage déserté par les habitants à l’extrémité de la ville, entre deux rochers et un arbre, m’accueillait néanmoins confortablement. D’ailleurs je n’étais pas le seul à dormir sans toit, Cayenne regorge de sans-abri et de sans-papiers ; ils sont mes premiers « informateurs ».

Je fis rapidement la connaissance d’un aumônier militaire qui me logea chez lui très généreusement, durant un mois et demi. Qu’il en soit remercié ici avec toute ma sincérité.

De connaissances en connaissances, j’ai pu loger durant tout mon séjour dans diverses familles, et passer notamment un mois dans la maison collective que louait une demi-douzaine de coopérants métropolitains.

Mes repas furent frugaux, un plat chinois à emporter le midi et une dizaine d’excellents accras de poissons le soir me remplissaient fréquemment l’estomac, et mon budget était géré de main de maître, ce qui me laissait encore quelques euros pour la découverte touristique 36 .

Pour le reste et l’extraordinaire dont je ne ferai pas la liste ici, la générosité sans faille des Cayennais me permit de passer un séjour de recherche inoubliable.

Du carnaval de Cayenne, je ne connaissais virtuellement, avant mon départ, que la Fédération des Carnavals et Festivals de Guyane, l’instance organisatrice et centralisatrice de l’ensemble des carnavals de Guyane. En pleine activité saisonnière, je pus néanmoins être reçu par ses membres actifs et obtenir des rendez-vous pour des entretiens, notamment avec le Président Roland Robeiri, qui venait tout juste de prendre ses fonctions à la suite de la très longue présidence du fondateur Philippe Alcide Dit Clauzel.

Les membres du bureau de la Fédération m’informèrent que deux autres personnes, étudiantes elles aussi, avaient pris des contacts avec la Fédération dans le cadre de leur études sur le carnaval de Cayenne. On ne m’avait donné qu’un nom. Après quelques recherches à l’université, je trouvai la première, prénommée Blodwen, qui était inscrite en maîtrise d’art du spectacle à l’université de Rennes et passait toute l’année universitaire en Guyane. Sa connaissance du terrain (elle était arrivé en Guyane depuis le mois de septembre et y avait vécu quelques années auparavant) et des groupes carnavalesques locaux me fut d’une grande utilité, et ses participations actives dans un groupe carnavalesque ainsi qu’aux différents bals masqués en qualité de touloulou 37 (donc de femme) me donnèrent de précieuses informations que je n’aurais pu obtenir autrement. Nous eûmes de longues conversations, confrontant ainsi nos points de vue théoriques.

J’ai rencontré la seconde, Galatée, je l’ai rencontré par hasard à la bibliothèque municipale de Cayenne, où je passais l’essentiel de mes journées, alors qu’elle empruntait des livres sur le carnaval. Elle était inscrite à Paris en maîtrise d’ethnologie. Nous partagions alors nos informations et je l’invitais souvent à assister à mes entretiens. Installée dans une famille à Cayenne durant le temps de ses recherches, elle me fit profiter à son tour de la vie locale, en m’invitant souvent dans cette famille, ainsi que de ses possibilités de voiturage pour nous déplacer dans le département.

Qu’elles soient ici toutes les deux remerciées de leur aide.

Au bout d’un mois sur place à prendre des contacts auprès des membres des différents groupes carnavalesques, je fis la connaissance d’une créole quadragénaire, Josette, membre très actif d’un groupe carnavalesque de renom : le groupe « Scorpion ». Elle accepta de répondre à mes multiples questions et me sentant très intéressé par ses activités carnavalesques, me présenta rapidement aux autres membres de son groupe qui m’accueillirent avec une générosité sans borne.

Je fus alors invité chaleureusement à participer aux nombreuses réunions très familiales du groupe ainsi qu’aux diverses exhibitions costumées qu’il donnait régulièrement dans la région de Cayenne en période de carnaval.

Ainsi je pus assister à une conférence, illustrée par le talent du groupe « Scorpion » dans une caserne de gendarmerie nationale sur le thème des costumes traditionnels des carnavals de Guyane. Cette conférence avait pour but pédagogique de présenter la culture locale aux familles de gendarmes métropolitains nouvellement arrivées dans le département.

Je compris alors l’importance et l’ampleur du phénomène carnavalesque dans l’ensemble culturel de la Guyane.

A chaque réunion du groupe, un jeu rituel interne resserre les liens et la fidélité de cette communauté carnavalesque.

A la suite d’un repas commun, une galette des rois désigne celui ou celle qui fournira et cuisinera le repas ainsi que la ou les galettes lors de la réunion suivante. Si c’est une femme qui découvre la fève, elle doit désigner un homme qui, lui, devra pourvoir le repas suivant en boissons diverses. Si c’est un homme, il devra désigner une femme qui se chargera alors de la confection des mets pour tout le groupe.

Lors de la dernière galette de la saison, je fut choisi et désigné afin, me dit-on, de s’assurer de mon retour l’année suivante. Me voyant très embarrassé et gêné de ne pouvoir honorer l’estime qui m’était ainsi sincèrement témoignée, on me proposa alors d’envoyer une carte postale de ma ville pour manifester une pensée et ma présence indirecte parmi eux, parmi ce groupe si chaleureux et avec qui j’avais tissé des liens d’amitié francs et cordiaux.

Le jour du Mercredi des Cendres, pour célébrer la fin des festivités, on me convia vers midi, en tant que membre, au gigantesque repas collectif du groupe pour déguster le plat traditionnel de la Guyane, symbole de la gastronomie guyanaise : le « bouillon d’aouara 38 » , dont la préparation s’étale, dit-on, sur plusieurs jours. Celui-la même dont la légende veut que si d’aventure vous deviez goûter en durant votre séjour en Guyane, vous seriez amené à revenir un jour ou l’autre...

L’un des membres du groupe occupant le poste de gardien dans un lycée de l’agglomération cayennaise, le repas se déroula dans le vaste hall du lycée, fermé pour cause…de carnaval.

Notes
35.

La Guyane dispose d’un climat tropical très humide ; j’y arrive en début saison des pluies.

36.

Visite des îles du Salut (lieu d’un bagne célèbres, notamment pour avoir enfermé Dreyfus) et des marais de Kaw.

37.

Cf. infra touloulous 

38.

La base de la préparation est une pâte, fabriquée à partir d’un fruit produit par une espèce de palmier : l’aouara. Soigneusement pelés, les fruits sont ensuite cuits de longues heures dans une marmite jusqu’à donner une pâte épaisse dans laquelle mijoteront poulet, crevettes, crabes et de multiples légumes. Ce met n’est servi traditionnellement que pour les fêtes de Pâques ou de Pentecôte.