Mardi Gras : les diables rouges

Ce mardi 12 février, un voyage aux enfers est organisé par le scénario carnavalesque de Cayenne. Le Mardi Gras, à Cayenne, est une journée méphistophélique où l’on croise le Malin et côtoie une multitude de diables, diablesses et diablotins rouges.

Les « diables rouges » ou « Djab rouj » ne vivent effectivement que le temps du Mardi Gras et annoncent l’apothéose festive avant la mort prochaine du Roi Vaval.

Les groupes carnavalesques se parent de rouge et de noir et semblent émerger du pandémonium ; les spectateurs sont invités à les inviter.

Il est conseillé effectivement aux spectateurs – et les Cayennais connaissent bien leurs traditions – de porter aussi un vêtement rouge ou noir, afin que le tableau infernal gagne les rues entières du défilé.

Ayant choisi la position de spectateur et par souci d’« intégration » carnavalesque, je me fais prêter un tee-shirt rouge, que je n’avais pas prévu dans ma valise innocente de Métropolitain.

Bien qu’arrivé en avance, déjà le parcours est jonché de ces couleurs dominantes. Je m’amuse même à « repérer » facilement les « touristes » non informés de la tradition chromatique de cette journée carnavalesque spécifique : vertes, blanches ou bleues, leurs tenues les désignent ou les stigmatisent trop facilement. Et je me sens alors « fier » de ne pas appartenir à cette « classe » d’individus, ce qui depuis mon arrivée dans le département, il y a maintenant presque trois mois, est l’un de mes soucis majeurs.

Les Cayennais ne dérogent pas à cette tradition carnavalesque locale : les enfants, les parents, les amis, l’ensemble des spectateurs informés participent à leur façon au carnaval en portant le rouge, en dominante, et le noir, comme couleurs puissamment majoritaires. Toute la garde-robe y passe : pantalons, shorts, tee-shirts, chemises, chapeaux, casquettes, robes, jupes, chemisiers, etc., mais aussi perruques, sacs, maquillages, bijoux rouges ou noirs sont sortis des placards pour être exhibés et flatter ou narguer Lucifer et ses succubes.

De l’autre coté, de rouge et de noir, mi-hommes, mi-démons, cornes, tridents ou fourches, chacun des acteurs de ce Mardi Gras guyanais revêt les attributs méphistophéliques.

Une déferlante rouge sang envahit rapidement les rue de Cayenne. La foule défie le Maudit et ses tentations qui défilent sous mes yeux étourdis de novice métropolitain.

Un personnage spectaculaire vêtu d’une combinaison satin, sang et or, avance en tête de son groupe. Il est difforme à partir des épaules. Un long cou disproportionné d’une mètre de haut supporte une tête plus large que les épaules et aussi haute que le torse de l’être infernal. Elle est effrayante et semble congestionnée de colère, des cornes cramoisies acérées, des yeux exorbités laissent une large place à une bouche ouverte édentée et agressive. Deux de ses semblables acolytes lucifériens le suivent et ouvrent à eux trois, en dansant, le chemin sombre, à une troupe démoniaque.

Les instruments de musique des groupes sont peints aussi, pour ceux qui le peuvent, en rouge ou en noir. Les fûts et bidons de plastique se prêtent particulièrement à cette mascarade chromatique.

Parfois le blanc, couleur ambiguë s’il en est, aussi bien chez les spectateurs que chez les démons qui paradent, éclaire quelque peu cet univers sombre du feu éternel.

Même si la musique carnavalesque typiquement guyanaise et très syncopée donne le ton, les gestes, la démarche et la danse paraissent plus lents, plus flegmatiques, plus lourds comme plus stagnants. Il y a bien évidemment des sauts, des courses à travers rue, des rires et de la joie, mais les chorégraphies en règle générale diffèrent de celles des autres jours de défilés urbains.

La liberté et la spontanéité paraissent accrues par le déguisement de diable qui implique un type de pantomime singulier. Le comique et le burlesque de la veille ont disparu au profit d’une ambiance davantage mystérieuse, satanique et obscure.

Au crépuscule, les fumigènes rouges embrasent la nuit et les rues cayennaises se colorent alors de pourpre, l’univers infernal, dans lequel séjournent les morts, se montre plus avéré à la surface ; l’ambiance semble descendre plus en aval dans l’abîme satanique. Mais les musiques carnavalesques, au tempo accrocheur et à la syncope déterminée, rappellent au spectateur le caractère festif de cette parade : les applaudissements crépitent régulièrement et les déhanchés ne se tarissent pas.

La notion du temps s’estompe au fur et à mesure que le nuit avance et le défilé se termine dans une atmosphère paradoxalement sereine : demain il faudra exécuter le roi Vaval et porter son deuil.

Les groupes carnavalesques paraissent moins importants, moins nombreux et les individualités ou les groupes de petite taille paraissent dominer les rues du parcours. En conséquence, la structure du défilé est moins rigide.