Mercredi des Cendres

Suivant le calendrier, le mercredi des Cendres est le premier jour de Carême, ainsi traditionnellement le lendemain des festivités carnavalesques. Mais à Cayenne, ce jour est encore inclus dans les scénarios festifs, est c’est le jour de « l’Incinération du Roi Vaval ».

Le carnaval à Cayenne se termine donc en ce jour du mercredi 13 février avec le mort du roi carnaval en fin d’après midi, à la tombée de la nuit au centre de la place des palmistes, mais sans omettre un dernier défilé dont la particularité, comme celui de la veille, est de se dérouler dans un univers de deuil monochrome.

Les acteurs, comme les spectateurs, doivent se vêtir uniquement de noir et de blanc.

Chacun en effet doit porter notoirement le deuil de Vaval, mais ce n’est qu’un deuil annoncé. Sa mort est programmée et assurée. Il n’y aura pas de jugement ni même d’accusation et encore moins de défense. Il sera exécuté par le supplice du feu sans aucun recours ni appel.

La nécessité semble évidente, camouflée par la tradition, et on l’exécute parce que c’est ainsi, qu’il faut le faire et que cela en a toujours été ainsi. Tout le monde est d’accord, personne ne le défendra. Au moins pour une fois, tout le monde est d’accord !

L’exécution est publique et chacun veut assister à la procession qui guide Vaval au bûcher avant de le voir dévoré par les flammes dévastatrices et purificatrices. Sont-ce les flammes de l’enfer qu’ont apportées avec eux les diables de la veille ?

N’y a-t-il pas alors un lien logique et scénique entre le paradis sur terre du Dimanche Gras, la transgression sociale des relations contre nature du Lundi Gras sanctionnée par la venue des enfers des diables rouges le Mardi Gras et l’exécution publique de la sentence le Mercredi des Cendres ? Le parallèle avec les triptyques boschiens 54 me semble ici évident 55 .

Quoiqu’il en soit Vaval va mourir et ses sujets n’en sont que plus heureux. Même s’ils portent le deuil, le défilé carnavalesque reste et demeure joyeux avec ses pétards et ses avertisseurs à bateaux assourdissants, bien que quelque peu étrange et paradoxal avec ce défilé de morts, de squelettes, et de fantômes dans les rues de Cayenne.

Nombreux en effet sont dissimulés sous un aspect tégumentaire squelettique et fantomatique, dévoilant ou arborant nombre d’objets contendants, tranchants et vibratiles. D’autres ont opté pour une tenue moins cadavérique et moins monstrueuse et portent du noir et du blanc sous forme satinée, longue, courte, classique ou issue du quotidien. Les costumes paraissent ainsi moins élaborés, moins créatifs même si quelques-uns affichent avec fierté leur œuvre carnavalesque.

Vaval est parfois représenté comme effigie, rarement de chair et d’os ; il revêt des formes multiples et inaccoutumées, tel que celui-ci, suspendu à une perche de bois avec pantalon noir, chemise blanche mais sans bras et doté d’une tête réduite en forme de nounours enfantin qui sort à peine du col de la chemise.

Plus le défilé avance dans le crépuscule et plus la folie semble gagner la foule. Les groupes sont déstructurés, désorganisés, les musiques se mêlent les unes aux autres, les costumés s’unissent avec les spectateurs, les uns sautent, les autres se bousculent, quelques-uns trébuchent, tombent sans gravité dans un mouvement anarchique.

Seule constante, le sombre et le clair s’amalgament en convergeant vers le centre de la place des Palmistes.

Là, un cadre est formé par des barrières métalliques. Vaval, qui ne ressemble plus qu’à une reproduction humaine de chiffons et de loques, après une longue et épuisante monstration à la foule, est introduit par un officiant : son bourreau sans doute.

Les Cayennais, costumés ou non, devenus dès lors tous spectateurs, sont massés tout autour de « l’arène » du supplice. Les uns dansent au son de la musique que les quelques musiciens présents ne se lassent pas de produire, les autres attendent fermement, positionnés contre les barrières métalliques.

Sans sentence lue, ni accusation énoncée, ni dernière parole du condamné, le « bourreau », sans plus attendre, allume le feu à Vaval qui gagne rapidement la globalité de son corps. Des cris, des applaudissements et autres acclamations ou manifestations de joie accompagnent solidairement le geste ultime du bourreau. Tout au long de la crémation spectaculaire, la foule applaudit. Qu’ovationne-t-elle ? La mort de leur roi, le geste parfait et expert du bourreau, la fin des festivités annuelles, la qualité du spectacle, ou tout autre chose que les non-guyanais ou les non-initiés ne peuvent saisir ?

Quoiqu’il en soit, il ne reste déjà plus rien du roi carnaval et l’exécution n’a pas duré plus de vingt minutes.

La dissolution de la masse populaire s’effectue spontanément à la fin de l’exécution publique, et la foule se disperse lentement. La fête foraine contiguë gagne alors en clients potentiels.

Photos 31-34
Photos 31-34

31. Mardi Gras, jour des diables rouges. Source : photo de l’auteur.

32. Mardi Gras, jour des diables rouges. Source : photo de l’auteur.

33. Mercredi des Cendres, jour de mort et de deuil du Roi Vaval. Source : photo de l’auteur.

34. Mercredi des Cendres, jour de mort et de deuil du Roi Vaval. Source : photo de l’auteur.

Notes
54.

Comme « La tentation de Saint Antoine », « Le chariot de foin », ou encore « Le jardin des délices », composée d’un paradis, d’une vie dissolue ou déréglée sur terre et d’un enfer.

55.

Nous aurons l’occasion d’y revenir en seconde partie.