Proclamation solennelle de l’entrée du Roi Carnaval et arrivée de Sa Majesté Cabache

Il est coutume de penser que l’ensemble rituel du carnaval marque la fin de l’hiver et l’arrivée du printemps ; il exalte la joie de vivre et symbolise le temps de boire et de manger avant celui des privations du Carême catholique. Par respect des traditions ordonnées par la religion catholique, les festivités s’arrêtent au soir du Mardi -Gras, la veille du Mercredi des Cendres, premier jour officiel du Carême.

Par commodité économique, climatique et sociale 79 , le carnaval de Chalon fut déplacé sur le calendrier et s’ouvre deux dimanches avant la date de la fête catholique des Rameaux 80 .

L’entrée du Roi Carnaval et l’arrivée triomphale de Sa Majesté Cabache annoncent le début des festivités et l’initialisation des rituels carnavalesques.

Précisons immédiatement qui sont ces deux rois.

Le premier, dénommé Roi Carnaval, est un personnage fictif constitué de carton-pâte de sept mètres de haut, monté sur un char 81 et tracté par un tracteur agricole. Le second, Sa Majesté Cabache, personnage réel de chair et d’os, est le roi des gôniots.

Selon la légende chalonnaise, le roi des gôniots, ainsi que son épouse, la reine Moutelle, souverains discrets, n’apparaissent en public que pour le carnaval. Ils habitent tous deux sur une île de la Saône au sud de la ville, nommée communément « l’île du Moutiau ».

Chaque année ils rejoignent leurs sujets, les gôniots. Leur arrivée en ville varie d’une année sur l’autre, mais cette année, comme souvent, ils accèdent à la ville par le Saône en bateau, au Port Villier, sur un débarcadère spécialement construit à cet effet. Cabache a pris pour sien le proverbe d’Emerson : « Si tu veux gouverner en paix, fais que les gens s’amusent ! ».

En ce samedi 8 mars 1997, le temps, voulant honorer le printemps, est aussi de la fête.

Dès 14 heures 30 quelques personnages déguisés, jeunes, sans doute des sujets du roi des gôniots, sont déjà postés devant le socle de la statue de Nicéphore Niepce 82 non loin de la Saône, attendant l’arrivée solennelle de leur couple royal, le roi Cabache et la Reine Moutelle. Un panneau destiné aux mariniers et plaisanciers, tourné coté Saône, indique l’interdiction de stationner à cet emplacement entre le 8 et le 16 mars, sauf autorisation pour le Comité des Fêtes de Chalon-sur-Saône.

Le lieu n’est décoré que de petits drapeaux rouges et bleus, symbolisant les couleurs de la ville. Les haut-parleurs, suspendus ici et là, dans les arbres ou aux lampadaires, diffusent alternativement de la musique de variété contemporaine ainsi que le programme des festivités, lu par un animateur au service du Comité des Fêtes.

À 14 heures 45, une foule de citadins afflue, de plus en plus nombreux, accompagnés d’étranges personnages vêtus de façon similaire, d’une longue robe pourpre, d’une médaille qui pend sur le torse, et coiffés de ce qui semble être une petite couronne dorée hérissée de pics. Ils semblent venir d’un autre âge. Ce sont les membres de la Confrérie carnavalesque locale, la Confrérie Royale de l’Ordre Gôniotique. Mais nous y reviendrons.

15 heures, la foule compte environs trois cent personnes ; la confrérie au grand complet se rassemble et s’approche du débarcadère. Leur présence ne paraît pas étonner la foule qui engage volontiers des discussions avec les spectateurs. L’un d’eux décroche une chaîne qui fermait l’accès au débarcadère : l’arrivée tant attendue de Cabache semble imminente. La foule s’entasse et se pousse sur les marches du port. De nombreux curieux, attirés par la foule amassée, s’approchent à leur tour.

15 heures 15, un char arrive par la route, « C’est le char de Cabache ! » crie quelqu’un. Deux trônes couverts surplombent quelques marches ; des visages peints, hilares et colorés décorent les flancs du char. Le char de Sa Majesté Cabache est bientôt suivi par deux groupes musicaux. Puis arrive au loin, au détour d’un bâtiment, du haut de ses sept mètres, posé sur un char et tiré par un tracteur, sa Majesté Carnaval, le point de mire du carnaval et de ses défilés.

Assis sur son derrière, avec son sourire figé, ses grands yeux écarquillés aux cernes violacés 83 , il écarte les bras en signe de bienvenue. Une fine couronne dorée exprime son rang. Il arbore joyeusement ce qui semble être une chemise à jabot à rayures jaunes et oranges, sanglés par une petite ceinture noire. Un pantalon court découvre ses mollets blancs 84 .

Après s’être arrêtés derrière le char de Cabache, les membres de la confrérie descendent à leur tour les quelques marches du port et se placent en deux rangs d’honneur. Des kayakistes approchent, sans doute attirés par l’attroupement – à moins que ce ne soit les éclaireurs du roi Cabache. L’impatience se fait sentir dans la foule, guettant, le soleil dans les yeux, du côté du pont des Dombes, la venue du bateau royal.

Soudain, un coup de canon surprend tout le monde et immédiatement l’information a traversé tout Port Villiers : « Les voilà ! ». Une vedette atteint le débarcadère. Les curieux se mettent debout, la confrérie fait une haie d’honneur.

Les hérauts d’armes, à l’allure médiévale, de rouge et de bleu vêtus, couverts par de larges bérets, sautent sur la terre ferme, font sonner leur longue trompe cuivrée, ornée d’une bannière elle aussi rouge et bleu, à la manière des anges au moment de la Nativité chrétienne.

Sous les applaudissements nourris de la foule, le Roi Cabache et la Reine Moutelle débarquent, suivis du page qui tient la traîne de son roi. Moustaches fines et nez rouge, les long cheveux bruns bouclés – sans doute une perruque des Rois de France – du roi qui tombent sur les épaules soulignent un couvre chef identique à ceux que portent les membres de la confrérie. Chemise dorée, pantalon de velours vert sapin retroussé et baskets terminent son costume. Il tient dans sa main gauche un sceptre en bois terminé par une forme semblable à celle de sa couronne. La Reine Moutelle, lunettes sur le nez et longue robe lourde et dorée, le tient par le bras. Sa couronne également dorée, est arrondie, et coiffe sa chevelure brune – qui semble quant à elle, naturelle. Tous deux portent une longue cape, rouge brodée de fil d’or pour Cabache, et couleur lie de vin pour Moutelle. Ils sont jeunes, discrets et timides. Ils marquent une pause pour les photographes venus eux aussi en nombre, et sans dire un mot, gravissent les marches afin de rejoindre le char qui les attend devant le socle de la statue de Nicéphore Niepce. Cet illustre personnage, inventeur de la photographie, natif de Saint Loup de Varennes, un village au sud de la région Chalonnaise, doit conformément à la tradition, immortaliser la scène. Absent ce jour là pour cause de rénovation, d’autres photographes le remplaceront.

Solennellement, le couple royal gravit les marches du char et s’installe sur son trône, accompagné de ses hérauts d’armes et son petit page, lui-même accoutré d’une tenue blanche ornée de points multicolores et d’un bonnet retombant à deux pointes, rappelant le bouffon des cours royales du Moyen Âge.

Quelques instants plus tard, les dignitaires de la confrérie – porteurs de l’identité carnavalesque de la ville aux yeux du public : « Y a qu’à chalon qu’on les voit ! », commente une spectatrice – prennent la tête d’un long cortège. Parmi ce cortège Sa Majesté Cabache fait son entrée sur son char, suivi des fanfares et d’une partie de la foule, dans un tonnerre d’applaudissement, pour parcourir l’ensemble du centre-ville. Le Roi Carnaval, le géant de carton-pâte, ne l’accompagnera pas. Aujourd’hui, c’est le triomphe de Cabache.

Dans les rues, places et carrefours, le joyeux défilé attire les regards et invoque les applaudissements des passants. Pas de barrières métalliques, seule la circulation est bloquée aux abords des rues adjacentes. Les membres de la confrérie se démarquent de la foule avec leur apparat pour le moins tapageur. Attachés par les bras, ils déambulent ainsi en vagues, s’arrêtant de temps à autre pour faire des farces aux passants et aux musiciens, offrant quelques pas de danse au public tout en chantant en boucle la « Ronde des Gôniots 85  ».

Des confettis inondent déjà le bitume des rues traversées par l’allègre cortège.

Le parcours emprunté sera le même lors des défilés et cavalcades dominicaux.

Intimidés par tant d’acclamations, Cabache et Moutelle rejoignent à pied la confrérie qui forme leur cortège jusqu’à la salle Marcel Sembat, siège du Comité des Fêtes de Chalon. C’est ici que se termine le défilé.

À suivre ce cortège, j’en ai oublié l’absence du grand char portant le Roi Carnaval. Il est, semble-t-il, resté au Port Villiers, entrée sud de la ville, accueillant les touristes et autres passants, laissant la gloire à son homologue de chair.

Cette entrée royale et solennelle annonce le début des festivités carnavalesques bourguignonnes.

Notes
79.

Les jours Gras, dates fluctuantes qui inscrivent le carnaval dans le calendrier, sont fréquemment positionnés pendant les vacances scolaires, marquant le départ de la ville d’une partie de la population.

80.

Les dates des festivités carnavalesques furent replacées en 1999 aux dates « traditionnelles » : les dimanches de défilés encadrent le Mardi Gras.

81.

Grande remorque montée sur roues (2 ou 4) et disposant d’une patte forme.

82.

Joseph (Nicéphore) Niepce (1765- 1833), inventeur de la photographie.

83.

Quelques années plus tard, il sera doté d’un double strabisme (divergent et convergent) mécanisé et d’un épais maquillage vert.

84.

Régulièrement son accoutrement est modifié afin de paraître affublé, chaque année, de ses plus beau vêtements.

85.

Cf. paroles en annexes.