Grand défilé de la journée des gôniots

Ce dimanche 9 mars est la journée des gôniots, c’est-à-dire le jour où ils pourront laisser libre cours à leur imagination gôniotique et se montrer en public pour la première fois de l’année.

Mais qu’est-ce qu’un gôniot ? Nous en avons esquissé brièvement plus haut quelques traits, toutefois il convient d’en exposer les principaux aspects, essentiels à la compréhension des manifestations carnavalesques chalonnaises.

Éléments les plus importants du carnaval parce qu’ils en sont l’émanation directe, les gôniots sont l’âme véritable des festivités du printemps chalonnais.

Institués en groupes, en duo ou plus rarement en solo, les gôniots investissent, déguisés, les défilés et se font remarquer par leurs rires, leurs mauvais calembours, ou leur dérision, parfois acerbe, envers les choses établis, les hommes politiques et les événements tant locaux que nationaux.

Ce sont, pour reprendre les termes d’un historien local, « de fins humoristes compliquant à plaisir leurs costumes pour extérioriser la critique moqueuse d’événements divers (…). Avec les gôniots, ce qu’on peut dire et écrire s’étale au grand jour 86 ».

Leur rôle est de déchaîner le rire par la caricature burlesque et cocasse dans les défilés carnavalesques. La métamorphose et la transformation sont leurs outils.

L’écrit est aussi un moyen singulièrement gôniotique d’expression. Ils s’expriment sous forme de pancartes, d’affiches ou d’affichettes, de slogans, portés autour du cou ou dans le dos, sur des attributs tels que chariots de supermarchés, poussettes, landaus, voitures, poubelles, tout ce qui peut rouler, se tirer, se pousser, ou simplement se déplacer. Ils passent ainsi au crible tous les travers de la société et mettent en scène les événements de l’actualité par le biais de caricatures et de farces.

Ils sont nés au début du XXe siècle, en 1910, mais le terme « gôniot » représente un état d’esprit qui perdure depuis plusieurs siècles 87 .

C’est donc en 1910 que le terme fit son apparition à Chalon. En effet, de passage à Chalon et en regardant défiler un cortège carnavalesque, un charmant paysan de la Bresse voisine ne put retenir sa surprise en voyant tous ces gens mal habillés, déambuler dans les rues, et de s’exclamer : « Dis donc, la mère, t’avions vu comme y z’étot gônés ! ». Sa femme lui répondit suffisamment fort pour qu’un membre du Comité des Fêtes de Chalon de l’époque l’entende : « Y est ben vra ! Y étot des gôniots !».

Depuis le terme est resté dans le langage carnavalesque et s’est propagé à travers les carnavals suivants.

« C’est vrai qu’à l’époque, nous explique André Revenat 88 , surtout avant-guerre, il y en avait qui se trouvaient des déguisements dans les greniers avec tous les habits de grands-pères, des trucs comme ça. On vidait les greniers pour s’habiller ».

Étant plus de mille chaque année à suivre cette tradition chalonnaise, les gôniots viennent de tous les horizons sociaux et de toute la région. Néanmoins, nous a-t-on précisé, les chalonnais sont de moins en moins représentés en nombre parmi les sujets de Cabache. Les habitants des villages périphériques demeurent largement et davantage présents en qualité de gôniots : « Les gôniots, ils viennent de partout ; quelqu’un qui a envie de faire quelque chose pour carnaval… Ils viennent d’un peu partout autour de Chalon. Si on prenait que les gôniots de Chalon, il y en aurait pas beaucoup ! C’est bizarre, c’est les villages qui font les chars (…). Ils viennent d’un peu partout, mais vraiment des chalonnais il y a quand même, mais pas beaucoup ! », se désole, le président du Comité des Fêtes.

Parodiant la société et la religion jusque dans leurs fondements, les gôniots se sont parés de « commandements » : « Les dix commandements du gôniot », qui illustrent à la perfection le mode de vie gôniotique.

Les Dix commandements du Gôniot

Photo 43 – Affiche du Carnaval 1997 de Chalon-sur-Saône.
Photo 43 – Affiche du Carnaval 1997 de Chalon-sur-Saône.
Photos 44-48
Photos 44-48

44. Gôniot. Source : photo de l’auteur.

45. Gôniot en train de danser. Source : photo de l’auteur.

46. « Les Cros-Magnons et ses tripotanus » : groupe de gôniots. Source : photo de l’auteur.

47. Gôniot. Source : photo de l’auteur.

48. Groupe de gôniots dont le costume est confectionné avec des cannettes métalliques. Source : fonds Patricia Badot.

Photos 49-53
Photos 49-53

49. Gôniots travestis dansant avec des grosses-têtes. Source : photo de l’auteur.

50. Couple de gôniots. Source : photo de l’auteur.

51. Costume élaboré de gôniots. Source : photo de l’auteur.

52. Détail de costume gôniotique. Source : photo de l’auteur.

53. Gôniots au départ du défilé. Source : photo de l’auteur.

Selon le nombre, de un à soixante, les groupes gôniotiques sont répertoriés en différentes catégories :

- Groupes montés, groupes disposants d’un char allégorique non motorisé.

- Groupes gôniotiques, à pieds.

- Groupe avec chars motorisés

Souvent l’inscription, nécessaire pour participer au concours carnavalesque, dans l’une de ces catégorie se fait à la dernière minute : « Je m’appelle X, je représente le groupe X, alors comme tous les ans on sait pas ce fait, mais on y sera. On attend d’avoir les derniers jus de l’actualité » communique un gôniot lors d’une réunion de préparation aux défilés carnavalesques.

Tous les ans, Chalon s’enorgueillit d’avoir un grand nombre d’insouciants gôniots, aussi bien pour parader dans ses rues que pour critiquer, à la manière de Sébastien Brandt 90 , les travers de la société. Ils tiennent l’esprit carnavalesque en eux et représentent une expression locale donnant à Chalon et à son carnaval son originalité et sa spécificité.

Ainsi, ils « tournent en dérision l’ordre établi à commencer par l’ordre social qui nous oblige à être propre et bien habillé. Pour un jour, on se fait sale et déguenillé. On se fait gôniot », écrit le journaliste local Claude Elly, non sans omettre de préciser que « depuis moins de 10 ans, on voit apparaître dans le défilé de carnaval, d’autres genres de personnes déguisées : « celles et ceux qui ont des costumes magnifiques. On continue à les appeler des gôniots, même s’ils sont superbement gônés et s’ils font plus penser aux beautés du carnaval de Venise qu’aux guenilles de la dérision. 91 »

Ce qui singularise plus précisément « l’art gôniotique », c’est bien un désir presque compulsif de se saisir des choses politiques et de les manier, sans délicatesse, avec satire et avec une imagination populaire pour les fustiger, les jaser et surtout les moquer.

La politique est un thème carnavalesque très prisé, voire fondamental dans le mode de vie gôniotique. Les gôniots en font le sujet central de leur art carnavalesque, sans quoi leur identité singulière – et celle du carnaval chalonnais – ne serait pas conforme à leur origine et ne correspondrait plus à la légende qu’on daigne leur attribuer.

Ce thème essentiel constitue même une manière incontournable de participer au carnaval et est devenue un point d’honneur du plus célèbre des gôniots – qui n’est autre que le président du Comité des Fêtes de Chalon, et le Grand Chancelier de la Confrérie Royale de l’Ordre Gôniotique – André Revenat : « Je fais pas de politique moi j’aime pas ça (…) parce que j’ai l’impression que d’un côté comme de l’autre, ils nous prennent pour des rigolos (…) mais quand je fais le carnaval, je fais tout le temps quelque chose de politique. J’ai fait les gôniots, ensuite j’ai fait les chars, c’est toujours sur la politique. Je regarde toujours si il y a quelque chose de politique dans le défilé ; j’m’amuse avec ça. Il y a des écoles, ils ne font pas de trucs politiques, y font des trucs pour amuser les gosses, ça fait partie quand même des gôniots, mais c’est pas rigolo. Je leur ai écrit il y a pas longtemps : cherchez quelque chose de satirique, que ça fasse rigoler les gens avec la politique, parce que les gens y rigolent de ça. Chez les marchants de masques, il y a des masques politiques, c’est là qu’il aut chercher ! »

Les thèmes politiques abordés lors des défilées carnavalesques reposent sur une communauté d’idées et de valeurs, sur une certaine perception culturelle que partage l’essentiel des gôniots : tous les éléments stéréotypés du sarcasme et de la critique publique sociale sont mis en valeur pour constituer leur cadre rituel et s’inscrire ainsi dans la tradition gôniotique.

Cette année encore, la politique fut à l’honneur dans les défilés. Les hommes et les faits politiques ont été savamment brocardés par des caricatures et des jeux de mots écrits, aussi épouvantables que licencieux. De même, actualité oblige, ont été évoqués en cette 90ème édition de 1997, les problèmes d’ordre sociaux ou économiques, comme les grèves des routiers, la défense de la viande d’origine charolaise face à la vache folle, ou encore le démantèlement des secteurs des chemins de fer français, à l’aide des outils proprement carnavalesques comme les chars allégoriques qui proposent une surface visible beaucoup plus conséquente que les déguisements ou les masques. Avec des thèmes aussi sérieux et aussi prosaïques, les gôniots ont su provoquer le rire du public ; ils ont su, tout en la faisant évoluer, perpétuer cette année encore la longue tradition carnavalesque chalonnaise.

Quelque soit le thème choisi, les gôniots affirment leur présence dans le seul but avoué de rire et de faire rire 92 .

Photos 54-59
Photos 54-59

54. Char gôniotique motorisé. Source : photo de l’auteur.

55. Groupe gôniotique avec char. Source : photo de l’auteur.

56. Groupe gôniotique avec char. Source : photo de l’auteur.

57. Conducteur d’un char gôniotique motorisé. Source : photo de l’auteur.

58. Jeu gôniotique : des spectatrices sont jetées sur des matelas, montés sur des chars gôniotiques, et aspergées de confettis. Source : photo de l’auteur.

59. Ostentation d’un prix carnavalesque sur le char d’un groupe. Source : photo de l’auteur.

Photos 60-65
Photos 60-65

60. Détails de chars gôniotiques, en période de grippe aviaire (mars 2006). Source : fonds Patricia Badot.

61. Détails de chars gôniotiques, en période de grippe aviaire (mars 2006). Source : photo de l’auteur.

62. Inscriptions sur un char gôniotique 2006. Source : photo de l’auteur.

63. Détail d’un char gôniotique 2006. Source : photo de l’auteur.

64. Inscription sur un char gôniotique. Source : photo de l’auteur.

65. Message gôniotique sur un char motorisé. Source : photo de l’auteur.

Photos 66-69
Photos 66-69

66. Char carnavalesque du Comité des Fêtes de Chalon. Source : photo de l’auteur.

67. Conducteur de char carnavalesque. Source : photo de l’auteur.

68. Char carnavalesque au départ. Source : photo de l’auteur.

69. Détail d’un char carnavalesque. Source : photo de l’auteur.

Photos 70-72
Photos 70-72

70. Char carnavalesque de la Cave de Buxy. Source : photo de l’auteur.

71. Détail du char carnavalesque de la Cave de Buxy. Source : photo de l’auteur.

72. Char carnavalesque du Comité des Fêtes de Chalon. Source : photo de l’auteur.

Notes
86.

Yves Guignardat, Historique sur le carnaval de Chalon, p. 9.

87.

cf.  Histoire du carnaval de Chalon.

88.

Le président du Comité des fêtes de Chalon.

89.

Le gosier.

90.

La Nef des Fous, cf. Histoire du carnaval.

91.

Claude Elly, 76 ème Carnaval de Chalon-sur-saône, 1996, p. 19.

92.

Pour le carnaval 2006, en période de grippe aviaire, le thème fut exploité par un groupe gôniotique. L’amalgame avec la grippe aviaire et le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy (« Sarkoq »), fut mis en scène et rédigé sur format A4 avec les talents sarcastiques propres au carnaval chalonnais. Pour la deuxième journée de défilé, le « Groupement des éleveurs de volailles de Bresse » sponsorisa le groupe. En fin de cortège, lors de la ronde finale sur le parvis de l’Hôtel de ville, le groupe prépara une omelette au lard sur les marches mêmes de l’Hôtel de ville et invita le Maire et les spectateurs à déguster le mets économiquement mis à l’index.