3-2 – Carnaval

Peut être doit-on la création de ce carnaval, et l’aspect qu’il revêt actuellement, aux expériences passées des instigateurs : « C’était de créer un carnaval (…) parce que j’ai beaucoup vécu aux Antilles, bon, je connais le Brésil, bon, je connais les pays à carnaval et … c’est vrai qu’au bout de quelques années ici, bon, j’ai commencé à dire, bon, c’est dommage, y a pas de carnaval, on devrait en faire un, puis voilà » nous confie la présidente. Et cette expérience a été partagée aussi bien par Michel Conquet ainsi que par Sylvie Roig, deux membres actifs de la Compagnie : « Moi, dans mon histoire, j’ai vécu au Brésil, donc le carnaval fait partie un peu de mon enfance ».

Bien évidemment, compte tenu de notre absence lors du défilé carnavalesque du 20 juin 1999, nous ne pouvons ici décrire ici le carnaval. Il nous a été raconté et exposé en photos et en vidéo, mais les éléments dont nous disposons ne nous permettent pas d’en établir une description précise.

Seulement nous nous servirons de ces descriptions subjectives pour avancer dans notre analyse.

Retenons néanmoins que le défilé se compose d’une suite de chars présentant des objets, des symboles ou des scènes de la vie réunionnaise - volcans en éruption, pirates, requins, etc. - en carton pâte que différentes associations ont construit pour l’occasion et qu’il est entrecoupé de groupes musicaux divers, déguisés ou non, jouant du maloya et du sega 124 . Dans ce défilé, vient se joindre toute une foule de personnages déguisés qui errent entre les chars et les groupes musicaux, sous les applaudissements des spectateurs, peu masqués. Il est à noter également que les membres de la Compagnie Pôle Sud, lors du défilé, sont « toujours habillés pareils dans des couleurs différentes » (Madame Savet) et que de nombreuses majorettes, participent au défilé.

Et surtout, qu’il n'existe pas de barrières entre spectateurs et acteurs : « Avec des barrières, ça casserait un peu le truc. Ça ferait structuré, y aurait pas de magie (…). C’est bien que tout le monde puisseparticiper comme il veut (…) ; tu remontes, tu redescends, les gens courent, tu peux aller jusqu’en bas avec le Roi Dodo » explique Madame Alexandre.

Parce que le carnaval de Saint-Gilles possède, comme la plupart des carnavals, un Roi : le Roi Dodo. Il ouvre le défilé et est exécuté par le feu à la clôture des festivités : « Le Roi Dodo est remonté, nous décrit la trésorière, on le fait passer par la rue de la Plage, on le soulève de sa charrette à bœuf (…) et après le cracheur de feu qui arrive et qui l’enflamme ».

Le Roi Dodo est un géant de cinq mètres de haut fait de carton pâte disposé sur du grillage puis peint. Avec un air jovial, il possède une couronne ; la première année, il tenait dans sa main droite une bouteille de bière 125 ; la seconde année, il montrait un sceptre royal. Il est affublé d’un short, d’un tee-shirt et d’une paire de tongs 126 .

Pendant tout le défilé, il est juché sur une charrette tirée par un bœuf qui le promène dans toute la ville. Telles sont les spécificités qui m’ont été montrées et détaillées du carnaval de Saint-Gilles.

Le succès ne s’est pas fait attendre puisque « la première y avait dix mille personnes, la deuxième quinze mille ».

Il faut préciser qu’une efficace campagne de publicité a été réalisée par la Compagnie pour le lancement de la première édition. Madame Alexandre nous confie que « Fabienne a été excellente en allant quelquefois participer à des émissions locales à RFO, donc elle a présenté ça. Qu’est-ce qu’on a fait la première année ? Affichages, prospectus, et la deuxième année, on a fait un petit spot avec les images du premier, de trois minutes je crois ».

En effet, la couverture médiatique a été réalisée par l’ensemble de la presse, de la télévision, de la radio réunionnaise ; les supports hors médias audio-visuels représentent plus de mille affiches, deux mille affichettes, trois mille dépliants des programmes ainsi que quatre mille tracts. « C’est vrai que ça nous prend beaucoup de temps, admet Isabelle Alexandre, quand même, un peu de notre vie, mais le résultat est tellement magique ».

Toutefois, on peut supposer que le temps pris sur la vie privée incite la Compagnie à « passer la main » : « L’objectif, c’est de passer la main à des professionnels. Ce qui serait bien, c’est que ce soit des professionnels et puis sinon des artistes qui s’occupent de ça » ; ou alors « C’est faire ça quelques années et passer la main à la ville de Saint-Paul  127 », nous livre encore Isabelle Alexandre.

Aujourd’hui, le Grand Boucan en est dans sa neuvième édition et se déroule, depuis trois éditions, le dernier dimanche de juin. L’édition 2005 a rassemblé pas moins d’un millier de participants pour environ 20 000 spectateurs réunis dans l’artère principale, la rue du Général De Gaulle en direction de la plage des Roches Noires pour l’exécution du Roi Dodo dans la soirée.

Anne Savet préside toujours la Compagnie Pôle Sud.

Dans les éditions 2003 et 2004, le Roi Dodo était incarné par Neptune. En Guyane, ce fut également le thème d’incarnation du Roi Vaval en 2002.

Dans le défilé de l’édition 2003, un groupe carnavalesque costumé en Gaulois malmenait un mannequin déguisé en Romain en le faisant sauter à plusieurs mètres de hauteur à l’aide d’une couverture. Faut-il y voir une relation avec l’effigie carnavalesque de Chalon-sur-Saône « sauté à la couverte » ?

Cette édition 2003 se déclinait en deux thèmes bien distincts : le monde marin, en hommage à Neptune, le Roi Dodo, et l’univers onirique du peintre Juan Miro. Ainsi pas moins de douze chars allégoriques furent construits et exhibés dans la rue saint-gilloise.

Photos 112-114
Photos 112-114

112. Affiche du Grand Boucan 2005.

113. Le Roi Dodo 2002 défilant dans les rues de Saint-Gilles. Source : www.saint-gilles.com.

114. Crémation du Roi Dodo par un cracheur de feu. Source : www.saint-gilles.com .

Notes
124.

Musiques typiques et traditionnelles de la culture réunionnaise, la première s’établit sur un rythme ternaire et la seconde, sur une rythmique binaire, avec chacune des instruments originaux.

125.

Symbolisant la bière « Dodo » brassée à la Réunion.

126.

« Sandales deux doigts » en créole réunionnais.

127.

Saint-Gilles est une commune administrative de la ville de Saint-Paul.