Dès le début du XVIIIe siècle, en Guyane, le carnaval avait pris naissance sur des thèmes venus d’Europe. Par l’intermédiaire des Portugais, toute la gamme des travestis d’Italie, de la Commedia dell’arte, de France, d’Espagne et du Portugal, était introduite dans les festivités que donnaient les maîtres dans les luxueuses habitations de leurs plantations. Cette mascarade captait l’attention des esclaves qui la reproduisaient et par manque de moyens, leurs costumes étaient des imitations grossières de linges utilisés dans les habitations
Les premières traces de carnavals en Guyane remontent en effet en 1845. Il s’agissait d’abord d’une réjouissance des blancs, les esclaves ne pouvaient que regarder de loin le spectacle de leur maître.
Avant l’abolition de l’esclavage, l’esclave jouissait d’une journée de repos. Pour échapper à leur sort, le jeu le plus prisé était la parodie du maître, celle de la « maîtresse » pour les femmes. Le personnage carnavalesque récurrent encore aujourd’hui en Guyane, l’anglé banann, serait un descendant direct de ces imitations-amusements dont étaient friands les esclaves lorsque leur maître leur accordait ce temps de liberté.
Sans moyens, les esclaves se paraient des vêtements de travail qu’ils avaient à leur disposition pour les travaux de la canne à sucre dans les champs, mais aussi se couvraient de mélasse, se frottaient de farine pour se « blanchir la peau ». Les premiers déguisements traditionnels des carnavals de Guyane apparaissent alors, et prendront bien plus tard les noms de coupeurs ou coupeuses de cannes, de Jé farine ou encore de Neg maron bien que le marronnage, la résistance et la fuite des esclaves dans la forêt, ne soit apparu en Guyane qu’en toute fin du XVIIe siècle.
Blancs et Noirs ont donc organisé leur fête chacun de leur coté, les uns au son du violon, les autres à l’aide de leur percussions outre-atlantique.
La période carnavalesque était au XIXe siècle, pour les riches planteurs, l’une des rares périodes de l’année où l’on pouvait s’adonner aux plaisirs sociaux des salons bourgeois. Les propriétaires terriens fortunés disposaient en effet d’une vaste résidence à la capitale dans laquelle ils pouvaient recevoir leur semblable. Le temps du carnaval permettait ainsi une massive convergence vers Cayenne.
Rapidement, la rue et les salles publiques furent investies et la fête carnavalesque prit une ampleur populaire. Toutefois, le strict respect des séparations des conditions économiques et raciales constituait le cadre étroit dans lequel le carnaval évolua durant toute la première moitié du XIXe siècle. Ordre et plaisir caractérisaient donc le carnaval guyanais.
Après 1848, la liberté proclamée, ces populations métissées aspiraient à une identité nouvelle et à bâtir une nouvelle société. Les esclaves, alors libérés, avaient pris l’habitude de se déguiser avec les affranchis.
Mais ces manifestations qui se déroulaient dans de luxueux salons avaient éveillé la méfiance des planteurs. Ainsi, pour rompre avec ces habitudes, il fallait les faire descendre dans la rue.
Dans la rue carnavalesque apparaissent des parodies des anciens labeurs et les dures besognes de l’esclavage ainsi que la moquerie d’une bourgeoisie opulente, sous les masques poudrés, ou les loups noirs et rouges.
Le carnaval de Guyane, celui du peuple Noir, était né.
Un arrêté du 15 juillet 1887 – c’est-à-dire près de 40 ans après l’abolition de l’esclavage – autorisait l’utilisation, limitée, des tambours et autres membranophones venus de la culture africaine, lors des fêtes de carnavals. Ils étaient, en effet, auparavant, sévèrement réprimés par des textes officiels, ou encore, dès 1876, frappés d’une interdiction horaire, considérés alors par les autorités guyanaise, comme des objets culturels étrangers, source potentielle de rassemblement, de sauvagerie, de disharmonie acoustique, et donc de trouble du repos public.
Nonobstant un dédain bourgeois et conservateur, les pratiques musicales séculaires africaines et populaires métropolitaines 131 se manifestaient toutefois lors des fêtes carnavalesques. Le changement social et post-esclavagiste de la fin du XIXe siècle, dû principalement à la dispersion de la population sur l’ensemble du territoire, au métissage et à la pratique intensive de l’orpaillage, imposait une exception culturelle à la politique rigoureuse et colonialiste de la Guyane.
Mais dans les rues ou dans un cadre privé, le type de musique identifiait chacun des carnavals : bourgeois, c’est-à-dire Blanc, ou populaires, Noirs.
Petit à petit, au XXe siècle, ces deux formes de carnavals – Blanc ou Noir – s’unissaient en descendant l’un et l’autre dans la rue.
Le roi Vaval s’appelait alors « Papa Vaval ».
On y buvait le célèbre panaché et mangeait de la soupe et des œufs durs afin de tenir la distance du parcours carnavalesque et apparaissaient d’autres costumes traditionnels 132 .
Au lendemain de la départementalisation, peu de magasins vendaient des masques pour les défilés carnavalesques et chaque groupes confectionnait lui-même ses propres masques avec ce qui lui tombait sous la main et avec des matériaux usuels. Apparurent alors les premiers Bobis, Bef volo bef, Sousouris, Zombis baré yo, Caroline, pour imiter et pour se moquer de tout ce que la société guyanaise affichait de tradition, de modernisme, d’individualisme ou d’excentricité. Ainsi défilait sous le masque tout que cette société sécrétait comme légendes, croyances locales et caribéennes (Zombis, Sousouris, Bobis), ordre économique (Bef volo bef 133 , Neg marrons), valeurs et tabous sociaux (Caroline).
Le défilé ne devait jamais passer devant les églises : on ne devait pas mêler le sacré et le paganisme, le désordre ne pouvait pas s’immiscer dans le quotidien.
Un arrêté de 1876 limitait l’utilisation de l’orgue de Barbarie.
L’origine du costume rouge des diables, qui ne sont visibles que le jour du Mardi gras, remonterait aux années 1950, aux temps où les carnavals de Guyane n’étaient pas organisés, où un groupe, celui de M. Jojo Lafortune, à Saint-Laurent-du-Maroni qui ne sortait que pour le défilé du Mardi Gras, décida de créer un costume rouge de diablesse. En se déplaçant à Cayenne, le costume fut si apprécié que l’année suivante, pour le Mardi Gras, d’autres groupes eurent la même idée de copier sur celui de Lafortune en travestissant l’ensemble de leurs membres en diables et diablesses rouges.
Pour le costume traditionnel de bef volo bef, l’histoire raconte que les jeunes gens aimaient taquiner et se laisser s’effrayer par un gros taureau dans son enclos. Souvent en période de carnaval, les jeunes imitaient cet énorme animal.