3-2 – Population réunionnaise

Origine de la population

‘« L'océan Indien a été un grand carrefour historique pour les puissances maritimes qui, au fil des siècles, ont ouvert des routes et peuplé des rivages déserts » Pierre Verin’

Le passé humain de La Réunion, dont la France est l’actrice principale, n’a que trois siècles et demi d’existence officielle. En effet, l’île a connu un peuplement tardif en raison de son éloignement de la côte africaine et indienne.

Sonia Chane-Khune 172 distingue deux grandes périodes dans l’histoire de La Réunion, séparées par la date charnière de 1848, année de l’abolition de l’esclavage.

Si les Arabes mentionnèrent l’île les premiers, ce sont les Portugais qui y débarquèrent les premiers et s’y arrêtèrent. Le peuplement se fera selon un schéma commun aux trois îles des Mascareignes : escale sur la route des Indes, installation provisoire, peuplement définitif.

Les premiers habitants étaient douze mutins français envoyés en exil sur l’île, alors déserte, depuis Madagascar, suivis par des volontaires français

En 1690, commence véritablement la colonisation de l'île. À cette date, la population est estimée à trois cent quatre vingt dix personnes dont la majorité est française puis malgache. D’anciens marins hollandais, portugais, espagnols, anglais composent également cette population. L’esclavage était interdit officiellement par la Compagnie des Indes, néanmoins des « domestiques » Noirs (malgaches) servaient gratuitement les Blancs. Sous l’influence du Code Noir 173 des Antilles, la traite des esclaves s’est légalisée 174 . L’esclavage et la traite des Noirs se sont organisés dès 1697.

A la fin du XVIIIe siècle les colons, plus nombreux que les esclaves, se divisent déjà en trois catégories : les premiers habitants parmi lesquels un faible nombre d’Anglais et de Néerlandais ; leurs enfants nés dans l’île et parmi lesquels on distingue les blancs et les métis ; les étrangers naturalisés.

Les esclaves sont également distingués en trois classes : les esclaves issus des premiers Malgaches, donc nés en terre française et réservés aux tâches domestiques ; les Indiens nés en Inde de parents libres (1/4 de la population servile) ; les Malgaches débarqués sur l’île.

Entre 1665 et 1715, les pirates, qui se marièrent et prospérèrent grâce à leur fortune amassée par des années de piraterie en mer, représentaient entre 30 et 48% de la population totale.

Dès 1720, on note une supériorité numérique des esclaves sur les Blancs. En 1730, trois cent Indiens, mille Africains et deux milles Malgaches composent la société bourbonnaise servile. En 1735, elle est structurée de 7% d’Indiens, 12% d’Africains, de 58% de Malgaches et de 23% de Créoles 175 . Ces derniers, nés dans l’île et au moins de mère esclave, ont une place à part dans cette population en jouant à la fois un rôle de médiateur, d’intermédiaire, de formateur et de modèle aux autres esclaves dont ils sont les supérieurs hiérarchiques. Les Créoles sont en majorité domestiques tandis que les autres travaillent dans les champs.

Jusqu’à la période révolutionnaire, La Réunion est séparée en deux classes : les propriétaires et les esclaves. Dès 1789, le nombre d’affranchis augmente considérablement et forme une « autre classe » de la population. Bien que libres, les affranchis ne pouvaient jouir des mêmes droits que les Blancs.

Des signes avant-coureurs annonçaient une éventuelle abolition de l’esclavage ; les gros propriétaires ont ainsi eu recours abondamment au système d’engagement. Dès 1830, plus de trois milles engagés indiens vinrent trouver du travail dans les champs de canne sur l’île. Mais leurs conditions de travail étant trop similaires à celles des esclaves, le gouvernement de Pondichéry mit fin à l’immigration bourbonnaise. Les colons se tournèrent alors vers la Chine pour faire appel aux engagés. Pour les mêmes raisons, l’immigration chinoise fut abandonnée trois ans plus tard.

A l’aube de l’abolition de l’esclavage, la population insulaire comptait soixante deux milles esclaves et le système de production reposait entièrement sur l’asservissement de cette grande partie des habitants. Mais le 20 décembre 1848, cette masse travailleuse devenait l’égale des trente cinq milles personnes libres de l’île avec l’abolition de l’esclavage. Cette date majeure et essentielle du passé de La Réunion constituait la première grande rupture de son histoire sociale.

Ainsi, pour faire face aux besoins de main d'œuvre, La Réunion engagea plusieurs milliers d’Indiens (38000 en trente ans), de Chinois et d’Africains. L’arrivée massive de main d’œuvre volontaire accentua alors la diversification des influences culturelles de La Réunion.

Après la seconde guerre mondiale et après la départementalisation de l’île en 1946, environ dix milles Chinois et indo-musulmans migraient à La Réunion pour ouvrir des commerces.

Si la départementalisation a amélioré la situation économique de habitants, elle n’a pas pour autant résorbé les inégalités sociales et culturelles en créant deux populations : d’un côté, les fonctionnaires, les gros commerçants et professions libérales, formant une classe sociale en majorité blanche, et de l’autre, les ouvriers, petits commerçants, petits exploitants agricoles. Les RMIstes constituent un troisième groupe.

A La Réunion, après cent cinquante ans d’occultation, la culture des nègres marrons sert à présent d’inspiration aux musiciens – et plus particulièrement à la musique appelée maloya – et aux écrivains – avec la revalorisation du créole réunionnais.

Ayant pris naissance pendant la période et dans l’interstice de l’esclavage, le maloya 176 , devint « un instrument » de la résistance culturelle pour les esclaves malgaches, africains et indiens. À travers cette culture, ces derniers ont exprimé la souffrance, le désespoir et la révolte. Longtemps interdite à La Réunion, la musique maloya aborde aujourd’hui des thèmes comme l’histoire locale, la guerre, le racisme, l’environnement. Elle est restée encore aujourd’hui, porteuse de sentiments de révolte et de revendication.

Notes
172.

Sonia Chane_Khune, Aux origines de l'identité réunionnaise, Paris, l’Harmattan, 1993.

173.

Cf. annexes.

174.

L'esclavage n'a pas été inventé par les Français. Les Espagnols qui, avec la découverte des Amériques, en 1492, mirent en servage les Indiens puis les remplacèrent par des Africains en 1530. Ce sont toutefois les Portugais qui les premiers, pratiquèrent le commerce des Guinéens dès 1443, pratique qui fut légitimée par le pape Nicolas V en 1454. Les Anglais usèrent de ce triste commerce dès le début du XVII e siècle. Après moult déclarations hostiles à l'esclavage, la France, poussée par sa politique coloniale, se mit à jouer dans la même cour que ses contemporains européens dès 1670, pratique qui fut renforcée en 1685 par l'apparition du Code Noir.

175.

Jusqu'en 1717, les Blancs français sont majoritaires et le français devient la langue principale et essentielle de communication dans toute l'île. Les non-francophones (Malgaches et Indo-Portugais emploient des approximations de français en le mélangeant à leur langue d'origine. Les nouveaux arrivants ne sont ainsi pas en contact direct avec la langue française mais plutôt avec ces approximations combinées à des mélanges inter-linguistiques. Par la suite, d'autres "nouveaux arrivants" découvrent un nouveau métissage linguistique qui évolue constamment pour donner le créole réunionnais autonomisé de façon définitive par rapport à un modèle originel qui est le français. Ainsi, précise Sonia Chane-Khune, « il ne fait aucun doute que le créole bourbonnais est parlé et déjà structuré au plus tard en 1721 ».

176.

Avec le  séga , le maloya est le genre musical majeur de La Réunion . Contrairement au premier, qui est d'origine mauricienne, le maloya est distinctement réunionnais. Le mot maloya viendrait du malgache ("maloy aho"): maloy voulant dire « parler, dégoiser, dire ce que l’on a à dire ». En effet, comme le blues américain, le maloya est un chant de complainte, chanté à l’origine par les esclaves ayant le mal du pays ou se plaignant des mauvais traitements de leur maître. On peut considérer que le maloya est l’un des avatars d’une forme ancienne du « séga primitif », née de la fusion d’expressions musicales, vocales, instrumentales et dansées des esclaves africains et malgaches, reprises par les engagés indiens et plus tard par les descendants de colons, marquée du sceau de la créolisation. La nuit à La Réunion, on dansait et on chantait, en secret, le pays des ancêtres, les origines et traditions perdues ; on rendait hommage à ses morts, on dialoguait avec ses esprits et ses dieux.

Dans les années 1970, quelques groupes ravivèrent la flamme de ce maloya que ses héritiers traditionnels couvaient : lo rwa kaf, Grammoun Lélé, Firmin Viry, Ramouche et beaucoup d’autres.