Composition pluriethnique

La définition de l’ethnicité, ou plutôt de la pluriethnicité à La Réunion peut s’effectuer selon des critères objectifs : référents historiques territoriaux, linguistiques, culturels, sociaux, mais aussi selon une vision subjective des populations concernées : sentiments d’appartenance, processus « d’auto ou altéro-inclusion 177  », c’est-à-dire que la frontière symbolique d’un groupe ethnoculturel peut être constituée par les représentations que ce groupe a de lui-même et des autres. La taxinomie fait appel à ce genre de représentations.

Nous avons choisi d’appréhender à la lumière de Clifford Geertz – « notre conscience est formée au moins autant par la façon dont les choses sont supposées se présenter aux autres, quelque part ailleurs dans la vie du monde, que par la façon dont elles se présentent à nous maintenant, là où nous sommes 178  » – et de présenter le multiculturalisme réunionnais par la taxinomie locale, par la façon de percevoir l’Autre à travers des stéréotypes, par la mise en évidence d’un arbitraire classificatoire, par une dénomination altruiste subjective soumise aux contraintes socio-culturelles et d’autant que, que selon Marie Angèle de Sigoyer : « Le Réunionnais d’aujourd'hui n’est pas réductible à une catégorie qui le différencie totalement de l’autre et ne peut être caractérisé par son appartenance à une culture ou à un groupe unique 179  ».

Cette taxinomie identitaire locale ne renvoie pas simplement au choix d’un lexique et d’une dénomination mais révèle des enjeux qui sous-tendent la question identitaire globale tout en situant les critères d’inclusion et d’exclusion des différents groupes : « les notions (de catégorisation) définissent la relation avec l’autre et s’inscrivent dans une dynamique qui trahit les frontières symboliques entre les groupes 180  ».

À La Réunion, les différents groupes n’ont pas de territoire propre et respectif et ne forment pas unilatéralement d’unité religieuse, sociale, politique ou économique nettement séparée et distinguée. Ainsi donc, plutôt que de parler d’unités, nous parlerons de groupes de même origine ayant conscience de leur identité 181 .

Une communauté linguistique, historique ou économique ne saurait être en effet le signe d’une communauté d’origine, « ce serait revenir à la conception naturaliste », assure Jean Pouillon, qui ajoute : « Cette conception n’est pas universelle et elle est probablement présente surtout chez ceux pour qui l’affirmation d’une même origine est le moyen de compenser leurs dispersions alors qu’elle est sans intérêt pour ceux qui vivent ensemble et dont l’ethnicité ne résulte peut-être que de leur regroupement 182  ».

Dans la mesure où « le langage est un outil qui affecte profondément notre façon de connaître le monde et de le représenter 183  », c’est à travers le langage, ce lieu de production du social, ce référent culturel de la réalité, que se dénomme subjectivement une réalité objective donc que se distinguent les groupes, et c’est donc par ce langage, réunionnais, que nous proposons alors une distinction des groupes de population vivant sur l’île de La Réunion.

La Réunion incarne une pluralité culturelle liée au brassage des populations résultant de la formation humaine et dynamique de l’île et par des traces encore vivantes laissées par l’histoire coloniale dans l’imaginaire culturel et dans la représentation de l’autre.

Si le passé de La Réunion s’est réalisé aux dépens d’un grand nombre d’hommes, l’histoire de son peuplement n’en constitue pas moins un trait d’union et ce, notamment, entre l’orient et l’occident. En effet, la composition de l’île est structurée de peuples venus, de gré ou de force, à la fois de la zone occidentale de l’océan Indien – Afrique de l’Est, Madagascar – et de la zone orientale – Indes, Chine – formant une sorte de microcosme de l’ensemble de l’océan Indien et de l’Europe occidentale. Ainsi, d’une diversité étonnante et cosmopolite de population, La Réunion présente toutes les nuances nées d’un long métissage, aboutissement d’un « creuset » où s’est fondu, au fil des siècles, tout un échantillonnage des principales communautés de trois continents.

À l’époque coloniale, on classait et distinguait les différentes communautés par grands blocs socio-culturels : Blancs, les propriétaires ; Noirs, Indiens, Chinois, Créoles, les travailleurs. Aujourd’hui, on diversifie davantage les populations selon leur culture et leur appartenance religieuse.

Le compte rendu de cet aspect multiculturel repose à la fois sur des informations recueillies directement auprès de ceux qui vivent cette pluralité ainsi que sur des documents écrits, à quoi s’ajoute l’observation directe de certaines pratiques festives.

Notes
177.

Micheline Labelle, Joseph J. Levy, op. cit. p. 198.

178.

Clifford Geertz, Savoir local, savoir global, Paris, PUF, 1986, p. 14.

179.

Marie Angèle de Sigoyer, « Identité et politique culturelles à La Réunion », in Jean Pierre SAEZ (sous la direction de), op. cit., p. 158.

180.

Micheline Labelle, Joseph L. Levy, op. cit. p. 277.

181.

Les "Zarabes" (voir plus loin) de La Réunion ne se caractérisent pas tous comme ayant une origine proche orientale, mais le terme est accepté, en premier lieu, par les habitants de l'île, puis par les Zarabes eux-mêmes, car cette unité désignée est fondée sur ce qu'ils ont en commun vis-à-vis du monde extérieur et ce d’autant, que ce même monde extérieur ne le connaît et les reconnaît, les distingue et les désigne que sous ce terme.

182.

Jean Pouillon, Le cru et le su, Paris, Librairie du XX e siècle, Seuil, 1993, p. 120-121.

183.

Andréa Semprini, op. cit. p. 46.