1 – Etymologie

Mais afin de cerner ce qu’est la substance du carnaval, une incursion en premier lieu dans son étymologie paraît adaptée.

Une bataille idéologique subsiste encore aujourd’hui concernant l’étymologie du terme carnaval. Il y en a donc plusieurs.

La plus commune est celle qui fait du carnaval, une origine latine liée intimement à la période religieuse du Carême catholique dans laquelle le pratiquant doit ôter de ses repas, le temps de la période, toute alimentation carnée.

Carême est ainsi considéré comme l’adieu à l’alimentation carnée.

Le mot carnaval viendrait donc du radical latin carne signifiant « viande, chair ». Le verbe levare exprime le sentiment d’enlever, d’ôter. Le mot carnaval viendrait alors du radical carne et de la terminaison levare.

Michel Feuillet, propose une autre terminaison en l’expression vale qui serait une salutation toujours vivante en Italie : carne vale

Les deux sens sont les mêmes : ceux du jeûne imminent ; en atteste le terme carniprivium « privation de viande », qui jusqu’au XIIe siècle dénommait Carême.

Ainsi, cette théorie étymologique associant Carnaval à Carême qui présente le terme comme une période pendant laquelle la viande est permise avant la privation du lendemain, avait une réelle signification pour le peuple, révèle Julio Caro Baroja 207 . Sans l’idée de Carême, se justifie-t-il, le carnaval n’aurait pas existé sous la forme qu’il a connue au Moyen Âge. Il est « l’enfant du christianisme » 208  .

C’est cette étymologie qu’on retrouve illustrée chez le peintre flamand du XVIe siècle Pieter Bruegel l’Ancien avec son œuvre Le combat de Carnaval et de Carême 209 et celle également retenue par le linguiste Alain Rey, dans son Dictionnaire culturel en langue française, publié en 2005 : « Dans les cultures chrétiennes, période réservée aux divertissements, commençants le jours des Rois (Epiphanie) et prenant fin avec le début de Carême (mercredi des Cendres) 210 ». Il précise également que la première trace du terme est attestée à Liège en 1268 et prend le nom de « quarnivalle », puis en 1549 de « carneval », empruntés à l’italien carnevale « mardi gras », étant lui-même une altération du latin médiéval carnelevare et qui signifie « ôter (levare) la viande (carne). Son sens premier aurait été alors « (entrée en) Carême », puis « veille de l’entrée de Carême » 211 .

Une autre étymologie défendue notamment par Florens Christian Rang et qui privilégie l’aspect matériel de la fête, est celle qui retiens le currus navalis, le « c(h)ar naval », le char-nef, tel qu’il apparaît dans de nombreux défilés carnavalesques urbains.

C’est en effet une étymologie qui se rapproche de la célèbre Nef de fous 212 de Sébastien Brant 213 et qu’a illustrée le peintre néerlandais Jérôme Bosch vers 1494-1500 dans son œuvre intitulé La Nef des Fous et qui a également initié une littérature spécifique proche du carnaval comme notamment l’Éloge de la Folie 214 de Didier Érasme 215 .

Photos 123-126
Photos 123-126

123. Le Combat de Carnaval et de carême, (118 x 164.5 cm), Pieter Bruegel, 1559, Kunsthistorisches Muséum, Vienne.

124. La Nef des Fous, Jérôme Bosch, 1480-1500, Musée du Louvre, Paris.

125. Gravure de la Nef des fous, illustration par Albrecht Dürer de la couverture de la Nef des Fous de Sébastien Brandt.

126. Gravure sur bois de la Nef des fous. Adam et Eve, accompagnés de deux fous, exclus du paradis.

Notes
207.

Julio Caro Baroja, Le Carnaval, Paris, Gallimard, 1979 (1ère éd. 1965).

208.

Ibidem, p. 26.

209.

Peint en 1559 et exposé actuellement à Vienne, au Kunsthistorischesmuseum

210.

Alain Rey (Sous le direction de), « Carnaval », in Dictionnaire culturel en langue française, Paris, Ed. Le Robert, 2005, p. 1271.

211.

Ibidem.

212.

Paru à Bâle en 1494 un jour de carnaval, ce long poème satirique, découpé en cent treize chapitres et écrit en allemand devint l’œuvre la plus lue d’Europe. Ce poème eut un retentissement considérable dès sa parution durant la période de transition entre le Moyen âge et l’âge moderne : c’est en substance un catalogue des folies du monde de l’ensemble des classes sociales. Dans ce livre proche de l’esprit de Rabelais et très moralisateur, qui caricature les travers et les illusions des hommes, à partir d’une succession de poèmes consacrés aux vices de la société moderne, aux corporations ou aux voies d’égarement qui menacent tout homme de raison, l’humanité est embarquée sur un navire, toutes classes sociales confondues. Nobles, roturiers, négociants, paysans, cuisiniers, magistrats, gens de robe et d’épée, tout le monde est du même voyage, qui est celui de la vie. L’auteur lui-même y figure en fou bibliomane accumulant les traités de sagesse sans pour autant devenir sage.

213.

Sébastien Brandt, La nef des fous, Paris, Ed. Corti, 1997.

214.

Écrit en latin en 1509 par Didier Érasme (1467 environ-1536) et dédié à son ami Thomas More, l’Eloge de la Folie (Encomium Moriae ) fut un best seller du XVIe siècle. Dans ce traité, le philosophe donne la parole à la Folie. C’est elle qui s’exprime dans ce faux éloge qui condamne la corruption des princes.

D’une rare violence contre les grands de son temps, contre la plupart des institutions – laïques et ecclésiastiques – et de leurs représentants, É rasme échappa au bûcher en se cachant derrière un masque, comme les bouffons de cours, seules personnes autorisées à l’insolence, parce que bossues ou infirmes.

Le masque qu’Érasme utilisa fut celui de la folie qu’il fit parler à la première personne.

215.

Didier Érasme, Éloge de la folie, Paris, Flammarion, 1999.