Pour les Grecs anciens, pays du verbe et de l’enivrante rhétorique dans lequel l’éloquence faisait autorité, un dieu unique, Dionysos, est à l’origine de la vigne et du théâtre. Lorsqu’il était fêté, une même ivresse du vin et du verbe, accompagnée de musique, mettait en relation la divinité et le fidèle.
Les « Dionysies », célébrées en décembre et en mars, glorifiaient le dieu Dionysos, protecteur de la terre et de l’agriculture, par une procession dans laquelle une statue représentant le dieu olympien était tirée par un boeuf, sur un char.
Au printemps, cette cérémonie célébrait le réveil de la végétation, mais en hiver, elle était plutôt le symbole de réjouissances et de rites orgiaques et avait une réelle fonction libératrice. Selon Michel Feuillet, c’est ainsi que le dieu grec Dionysos est devenu symbole de carnaval : « Le qualificatif dionysiaque a souvent été utilisé pour désigner le rituel carnavalesque 220 ».
Pour jouer son rôle dans la fête, le fidèle doit momentanément acquérir une autre nature. Il lui suffit de s’entourer le corps de branchages, de porter le bâton symbolique du dieu pour être momentanément ce dieu. Comme les Grecs barbouillaient les images et les statues du dieu, les fidèles se barbouillaient eux-mêmes le visage – ni tout à fait homme, ni tout à fait dieu – au cours de ces fêtes dans lesquelles on célébrait par des cortèges bruyants la force vive et toujours renouvelée du dieu. Ces grimages avaient pour but de délivrer les officiants des contraintes quotidiennes et avaient le pouvoir magique d’aider le fidèle à se sentir créature plus qu’humaine, ou moins qu’humaine.
L’origine du dédoublement tégumentaire propre aux carnavals modernes puise ainsi son origine dans les profondeurs des Dionysies grecques.
Michel Feuillet, op.cit., p. 25.