2-2 – Moyen Âge

La fête des fous

Le calendrier liturgique chrétien a trouvé sa légitimité auprès de son peuple, à la suite du Concile de Nicée, en 325, harmonisant les dates de célébration de Pâques, en inventant un dispositif permettant de caler le calendrier chrétien sur le temps du paganisme européen.

Pâques devait devenir le cœur du dispositif religieux du Moyen Âge et fixait alors toutes les autres dates de la liturgie chrétienne, dont Carême et carnaval.

Au IVe siècle, l’Église chrétienne a fixé le début de son calendrier liturgique à Noël, à la naissance de Jésus-Christ. Une période de douze jours, entre Noël et l’Épiphanie, assure la jonction entre l’ancienne et la nouvelle année civile chrétienne.

La fête des Fous médiévale était célébrée dans cette période, où le temps s’inverse, entre le 25 décembre et le 6 janvier 229 .

Organisée à l’intérieur des églises et cathédrales 230 , la fête des Fous est tout d’abord une période où la hiérarchie cléricale s’inverse : les sous-diacres prennent la place des hauts dignitaires pour danser, professer des sermons grossiers et obscènes et chanter des cantiques à double sens ; les prêtres se déguisent en femme, les évêques et archevêques se défont de leurs attributs dans un jeu burlesque, les enfants de choeur chassent les prêtres, donnent des ordres dérisoires, lancent des malédictions à la place des bénédictions, ordonnent des processions et touchent des redevances.

Le jour de la fête des fous, on élisait le Roi ou encore le Pape des fous. Pour être élu, il s’agissait de passer sa tête dans un trou et de faire la plus laide grimace. Le Roi des Fous – celui donc qui réalisait cette horrible grimace – était promené, déguisé en évêque, monté sur un âne, et portait la mitre et le bonnet de fous de cour 231 .

Une procession du clergé se rendait chez lui pour le conduire solennellement à l’église ou à la cathédrale. L’office pouvait débuter lorsque celui-ci s’asseyait sur le siège épiscopal après être entré dans l’édifice à l’envers sur un âne 232 .

L’office était totalement célébré à l’envers de façon méthodique, les gestes du cérémonial habituel étaient soigneusement inversés : la droite prenait la place de la gauche, le haut remplaçait le bas, la puanteur des vielles semelles se substituait à l’encens, les acteurs se couchaient le matin et se levaient le soir. La saleté, la grossièreté et l’obscénité étaient de rigueur. On y jouait souvent aux cartes et aux dés.

Jean-Baptiste Thiers, l’un des premiers observateurs de ces fêtes, cité par Jacques Heers, décrit : « Les ecclésiastiques se faisaient autrefois un mérite devant Dieu et devant les hommes de danser dans les églises le jour de la Nativité de Notre-Seigneur, le jour de la Saint-Étienne [26 décembre], le jour de Saint-Jean l’évangéliste [27 décembre] et le jour de la circoncision [premier janvier] ou de l’Épiphanie [6 janvier] 233 . »

Mais, au lieu de rester confinés dans l’enceinte de l’église ou de la cathédrale, ces jeux d’inversion se propagent en ville sous forme de cortège masqué. Ces rituels échappent peu à peu à la scène liturgique et le peuple – profane – s’associe au cortège d’autant plus facilement que quelques fêtes masquées populaires prennent un essor certain dans l’ombre du christianisme et de sa fête des Fous.

Ces parades de rue connaissent un immense succès dès le XIIIe siècle.

Le Concile de Nantes en 1431 proscrit cette fête des Fous « et autres abus qui régnaient en plusieurs églises : c’était de surprendre les clercs paresseux dans leur lit, les promener nus par les rues et les porter en cet état dans l’église où, après les avoir placés sur l’autel, on les arrosait largement d’eau bénite 234 . »

Le Concile de Bâle de 1435 fut le dernier décret qui interdit les spectacles dans les églises ou cathédrales ainsi que la fête des Fous.

La fête des Fous du Moyen Âge est, par son contenu, une véritable expression du temps à l’envers ; c’est, selon la formule de l’historien Jacques Heers, « la célébration du désordre, du renversement des hiérarchies 235 . »

C’est donc avec le contrôle exercé par les autorités religieuses sur cette fête de clercs que la disparition de la fête des fous a conduit à la formation plus laïque du carnaval, qui dès le XVe siècle fut pris en charge par les instances de la société civile.

Il n’en demeure pas moins que les rituels d’inversions, la présence d’un dirigeant fou d’un peuple de fous, les cavalcades, les mascarades, les déguisements collectifs et les défilés de chars puisent leur origine dans cette fête des fous.

Notes
229.

L’historien Jacques Heers estime que la fête de Saint-Nicolas – patron des marins et des enfants, qui jouit d’une dévotion très populaire en Occident – le 6 décembre, ouvre les festivités de la fête des Fous. D’autres auteurs considèrent le début des festivités le jour de la fête des Saints Innocents, symbolisant le massacre des innocents. Mais la plupart des auteurs s’accordent à faire coïncider le début de la fête des Fous avec le 25 décembre, Noël.

230.

Outre leur fonction réservée à l'office religieux, les cathédrales, et dans une moindre mesure, les églises, étaient, dans la civilisation médiévale, des lieux culturels, politiques et ludiques. Le peuple y mêlait ses pratiques païennes et ses dévotions aux rites religieux. Les édifices sacrés étaient considérés comme des centres de pèlerinage, ils attiraient d’immenses foules aux grandes fêtes de l’année. Seuls édifices couverts de l'époque, ils étaient aussi le cadre de grands spectacles et servaient de lieux privilégiés pour l'enseignement au peuple et les débats politiques.

231.

Dans Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, ce fut Quasimodo qui fut élu en raison de sa difformité physique.

232.

Rite de désacralisation : l'âne, dont le naturel est de reculer, permettait à l'évêque d'entrer en avant.

233.

Jacques Heers, Fête des Fous et carnavals, Paris, Fayard, 1983 p. 105.

234.

Ibidem, p. 124.

235.

Ibidem, p. 31.