Carnavals organisés

« Les cortèges urbains carnavalesques avec personnages déguisés ou travestis, considère Arnold Van Gennep, (...) correspondent aux cortèges de même type qui s’organisaient pendant tout le Moyen Âge et jusqu’à la Révolution (...) soit lors de la fête patronale du Saint protecteur de la cité, soit lors des grandes cérémonies religieuses comme une translation de reliques, soit lors de l’entrée solennelle d’un roi ou d’un haut personnage soit, enfin, pour commémorer le recul d’une épidémie, le gain d’une bataille, la délivrance de la ville assiégée 237 . » Ces propos montrent que les cortèges carnavalesques modernes ont une origine communeavecles pratiques et coutumes du Moyen Âge, ou tout au plus, qu’ils en sont une survivance ou une imitation.

Il est avéré, néanmoins, que dès la Renaissance, en Europe, les fêtes de carnaval commençaient à être des spectacles organisés pour le peuple des grandes villes.

L’exemple le plus probant est le carnaval de la ville de Venise qui, au XVe siècle, organisait des fêtes et des spectacles costumés privés. Plus précisément, ce furent des groupes de jeunes Vénitiens qui devaient, « ouvrir en ville des cercles de divertissement » 238 afin de structurer le carnaval en ville.

La compagnie la plus célèbre était la « Compagna della Calza » qui produisait de non moins célèbres carnavals privés, jusqu’à fasciner l’Europe entière 239 .

En effet, au XVIIIe siècle, en Europe et surtout en France, on assiste à une coupure de plus en plus franche entre le carnaval et ses racines populaires. Les bals organisés et masqués, par exemple, témoignent d’une rupture avec le cérémonial populaire du carnaval médiéval en matérialisant le renfermement mondain et aristocratique du carnaval urbain, débuté plus tôt en Italie par le carnaval vénitien.

Le XVIIIe siècle serait donc les prémices du carnaval spectacle et organisé que l’on connaît médiatiquement à Nice et qui caractérise ceux de Chalon-sur-Saône, de Cayenne et de Saint-Gilles.

Durant les siècles suivants, l’organisation des spectacles carnavalesques va s’amplifier jusqu’à ce que se distinguent les premiers « carnavaliers » professionnels de Nice, en 1873. L’organisation du carnaval est devenue si rigoureuse qu’elle nécessite aujourd’hui l’emploi à plein temps de personnes hautement qualifiées. En France, les carnavals sont aujourd'hui des spectacles pleinement structurés que des professionnels proposent au public.

Le carnaval est alors réinventé.

Nous ne pouvions cependant terminer ce bref aperçu historique sans évoquer un élément fondamental du carnaval actuel et qui n’est né qu’avec les premiers carnavals organisés.

Les informations d’Arnold Van Gennep concernant l’objet le plus petit mais le plus incontournable des carnavals urbains modernes, le confetti, ont été essentielles pour déterminer les conditions de son apparition dans l’histoire du carnaval : « Les confettis en papier auraient été, sinon inventés, du moins diffusés, à Paris en 1891, par Lue, régisseur du Casino de Paris, dont le père était ingénieur à Modane, où on se servait de papier troué pour l’élevage des vers à soie ; les rondelles étaient donc des résidus sans valeur 240 . » Il affirme également de façon précise que les premiers serpentins auraient été des bandes morses qu’un employé du bureau de Poste 47, à Paris, aurait lancé sur ces collègues la même année puis dans la rue, pour s’amuser.

Aujourd’hui les fêtes carnavalesques ont en partie perdu leur part d’insouciance et leur nature momentanément subversive est peu à peu remplacée par des valeurs qui les décrivent comme un spectacle policé, médiatisé et commercial.

Notes
237.

Arnold Van Gennep, Manuel de folklore français contemporain, tome I, vol. III, Cérémonies périodiques cycliques, Carnaval, Carême, Pâques, Paris, A. et J. PICARD & Cie, 1947, p. 922.

238.

A. Savella,Le carnaval de Venise, Milano, Sylvana Editoriate, 1986, p. 12.

239.

Michel Feuillet,Le carnaval, Paris, Cerf, 1991, p.18.

240.

Arnold Van Gennep, op.cit., p. 929.