Carnavals ruraux et urbains

Jean-Thierry Maertens distingue deux types de carnavals, le rural et l’urbain.

Les premiers « dont les traces persistent en Europe centrale, précise-t-il, sont davantage en continuité avec les mascarades sauvages : il s’agit encore de puiser dans la « nature » la revitalisation du système, des lois de parentés et d’alliance, des règles de fécondité et de culture. De ce point de vue, le masque carnavalesque rural est institutionnel, tourné qu’il est vers la survie des structures 242 . »

A l’inverse, le carnaval urbain – davantage contestataire puisqu’il est « né au moment de la fondation des principales cités médiévales et de la prise de pouvoir de la classe bourgeoise et le clergé comme une manifestation de l’opposition des masses à l’égard de cette domination et une expression des cultures populaires face à la religion savante régulatrice de ces cités 243  » – a été interdit dès le début du XIVe siècle, alors que celui rural n’a été frappé d’interdiction que sommairement.

Les déguisements et les masques des carnavals urbains ont tendance à évoquer la déconstruction de l’ordre ainsi que la bienséance civile.

Ils aiment à caricaturer autant la ruralité que les moeurs de la société, les personnages politiques et les irrégularités sociales.

Ils sont en somme de véritables peintures civiques qui servent à la déconstruction politique et anticléricale de la société hiérarchique. Mais le simple fait – finalement carnavalesque – de se défaire du déguisement ou de retirer le masque à la fin des festivités carnavalesques permet de rentrer aussitôt dans l’ordre de la réalité quotidienne.

La Renaissance a achevé de vider les masques de leur substance signifiante afin que, s’ils figurent dans des cortèges profanes, ils soient sans danger potentiel pour les autorités cléricales, ou par leur absence de contenu, transforment ces cortèges en simple manifestation folklorique.

Par l’interdiction systématique de certains excès avant d’en ordonner leur disparition, les pouvoirs politiques et religieux ont changé et reformé le sens des masques et déguisement. Ils n’illustrent plus en effet que les signifiants d’un discours officiel et déjà élaboré par le pouvoir en place.

Les autorités religieuses ont donc réussi à transformer les attributs carnavalesques en simples objets créés et non plus en discours ou pensée mis en actes.

Néanmoins, ils garderont leur fonction essentielle, qui est celle, en trompe-l’oeil, de rendre anonyme le porteur ; et au XVIIIe siècle, ils ne seront plus utilisés que pour se cacher – de ses comportements immoraux – ou égarer le regard de l’autre.

Depuis le Moyen Âge, fêtes religieuses et rites populaires urbains, carnavals, foires, fêtes foraines et parades du cirque avaient constitué un réservoir d’images et d’inventions dans lequel les arts académiques répugnaient à puiser. Leurs dérèglements contrastaient avec les ordonnancements des entrées royales, prises d’armes, célébrations révolutionnaires, cortèges impériaux ou cérémonies républicaines auxquels les autorités vouaient l’espace commun.

Au début des années 1960, la nostalgie de telles transgressions influait sur l’imaginaire de jeunes troupes en quête d’instruments pour combattre le conditionnement du citadin par l’idéologie bourgeoise.

La rue, promue théâtre de l’histoire de la Révolution à la Libération, devenait ainsi le terrain de nouveaux conflits sociaux et politiques liés au travail, à l’habitat, aux conditions de vie que le carnaval, par le truchement de la dérision, ne manquait pas de s’approprier. Ainsi apparaissent dans les défilés carnavalesques les masques des hommes politiques.

Notes
242.

Jean-Thierry Maertens, Le masque te le miroir, Ritologique 3, Paris, Ed. aubier Montaigne, 1978, p. 97.

243.

Ibid, pp. 97, 98.