4-3 – Masque de carnaval

Le printemps est l’occasion de provoquer une irruption de joie dans le quotidien et d’effacer les jours gris de l’hiver. Dans les pays d’obédience catholique, elle couvre trois jours : les jours gras.

La mort est ainsi mise en valeur par son contraste, la résurrection, d’où les exécutions symboliques des rois carnavals et les ambiances ambivalentes de deuil et d’allégresse qu’on retrouve par exemple, en noir et blanc, le Mercredi des Cendres en Guyane, le jour de l’exécution du roi Vaval. Les monstres, dragons et autres géants apparaissent alors et disposent de pouvoirs exceptionnels, notamment celui de vaincre le mal et de rétablir l’ordre, comme les géants – les Reuzes – de Dunkerque ou du Nord et la « Tarasque » de Tarascon 265 .

C’est donc une période de l’entre-deux, la transition, le passage, un temps suspendu dans lequel peuvent s’immiscer toutes les transgressions et inversions ainsi que les violences rituelles ou symboliques.

Les masques jouent alors de cette ambiguïté manichéenne entre joie et tristesse, mort et renouveau, ordre et désordre.

Zoomorphe ou anthropomorphe, terrifiant ou hilare, le masque demeure un moyen singulier de transcendance humaine, qu’elle soit divine ou pragmatiquement individuelle mais aussi une voie empirique vers l’altérité ; cet autre, culturellement représenté, da la présence cyclique duquel dépend la cohésion sociale du groupe.

La figure de l’autre permet ainsi d’identifier l’unité.

C’est pourquoi dans le carnaval, tout en restant outil majeur d’introspection, le masque investit plutôt la vie sociale, médiatique et politique, pragmatique et immédiate, celle-là même qui envahit la vie quotidienne des acteurs et celle-là aussi qui, sublimée par une surmédiatisation, transcende l’organisation culturelle et sociale.

Puisqu’il concède une certaine forme de hardiesse et une insolence extra quotidienne attestée et confirmée de longue date, le masque abolit les distances et anéantit temporairement l’impact du modèle au lieu de l’exalter.

Les rôles sont inversés : le masque devient caricature. On ne cherche plus à s’arroger les pouvoirs des masques, on quête ses faiblesses, celles qui le relient au monde du commun. L’ordinaire supplante alors l’extraordinaire.

Ainsi à la fois sujet et objet, l’effigie du roi carnaval doit être considérée comme un méta-masque. Il ne revêt en effet pas la peau ou le visage d’un autre imaginé dans l’expérience de l’immédiateté, il est à l’inverse lui-même et atemporel. De ce fait identifié, mêlé de vie et de mort puisqu’il possède le pouvoir de renaître de ses cendres, à la fois réalité et fiction, sacré et profane, ses sujets peuvent le charger et l’accuser du chaos et du désordre qu’eux-mêmes provoquent. Surdéterminé de la sorte, avatar dialogique permanent, le roi carnaval ne peut donc être masqué.

Notes
265.

Cf. Louis Dumont, La tarasque, Essai de description d’un fait local d’un point de vue ethnographique, Paris, Gallimard, 1987.