Le carnaval est effectivement toujours fondé sur une organisation collective consciente, base de toute création artistique. Toutefois, cette part d’organisation est malaisée à appréhender en observation directe surtout lorsqu’il s’agit d’un art de la performance : « Toute activité humaine dont la perception est en elle-même susceptible de produire et d’organiser (entre autre) un effet esthétique immédiat 267 ». Les arts de la performance ont en commun plusieurs facteurs ; le premier d’entre eux étant l’importance du collectif dans le processus de production.
Le carnaval fait ainsi figure d’exemple tant ce collectif prend une part prépondérante dans la création proprement dite. Chaque membre du collectif doit participer en temps réel à la création « en train de se faire ».
Dans le carnaval, comme dans toute forme d’art collectif, il préexiste une conformité culturelle mêlée d’intentions idéales et surtout une proximité de « conversation » entre chaque membre du groupe, où chaque geste (que l’on pourra qualifier plus loin de geste rituel, comme nous l’avons vu précédemment) déclenche la réaction des autres. Cela implique une autre dimension de la performance : une performance de groupe dans laquelle doit être présente une entente collective, donc a fortiori sociale.
L’intérêt de la conversation repose sur la capacité de répondre aux suggestions des autres membres du groupe, qu’ils soient du public on non. C’est ce qu’on nommera la création d’un code rituel.
Autre similitude entre l’art de la performance et le carnaval, c’est l’importance du public : sa présence peut en effet avoir une influence remarquable et interactionniste sur la performance elle-même.
Dernière analogie, les arts de la performance dévoilent une activité physique où l’homme n’engage pas seulement son être culturel mais aussi son être entier, biologique et affectif. Cet engagement du corps se retrouve dans la relation qu’il entretient avec son propre personnage festif dans l’exubérance du jeu et en étroite relation avec les autres membres du groupe.
Mais que sont plus précisément ces arts de la performance où l’œuvre n’existe que dans le temps de la performance et seulement là?
Il est propice alors, pour répondre à cette question, d’utiliser une analogie apodictique comme outil opératoire métaphorique et donc d’enrichir l’explication et la signification d’un art par celles d’autres arts, d’une émotion par d’autres émotions. Aussi nous avons choisi d’éclairer la structure carnavalesque sensible par la lumière du théâtre tout d’abord, puis par les œuvres du peintre pré-surréaliste Jérôme Bosch, par les mouvements de la danse ensuite et enfin par les sonorités du jazz.
Rhétorique et abstraction des sens singularisent et concrétisent ce moment hors du temps, hors de la réalité courante.
Petit à petit nous glisserons ainsi du monde du sensible, de l’émotion, de la contingence, de la poésie collective vers un univers de raison, de logique et de rationalité. Ainsi, cette partie nous permettra de passer du sujet d’émotion à l’objet de pensée.
Gérard Genette, L'œuvre de l'art I, Paris Seuil, Coll. Poétiques, 1994, p. 66.