Dans sa Poétique 271 , Aristote cherchait la nécessité à laquelle l’art répond. Il examina d’abord dans la nature de l’homme et il découvrit un besoin et, par la suite, un plaisir d’imiter. Comme il y avait de multiples façons d’imiter, il y avait plusieurs arts, pensait-il. C’est ainsi qu’Aristote arriva à la distinction qui permet de dégager l’essence de la théâtralité : on peut imiter les hommes en racontant leurs actions ou en les répétant : l’épopée ou le théâtre, avec toutes les subjectivités et les mises en scènes possibles. Nous dirions plutôt aujourd’hui le roman, la fiction, ou le théâtre. L’essence de ce dernier demeure dans l’étymologie greque du terme qui désigne l’art dramatique : drama signifie « action ». Il s’agit donc d’un art où des acteurs imitent des actions en les exécutant.
Avec leur incarnation, qui s’achève sous le regard et dans la pensée du spectateur avec une sorte d’existence imaginaire, les acteurs ont la possibilité et le pouvoir de métamorphoser le monde et leur propre monde. Représenter une œuvre théâtrale, c’est pouvoir créer ou recréer un monde dans un temps et un espace donné, et ce, dans la mesure où la notion de représentation est inscrite dans l’essence de l’œuvre théâtrale. Celle-ci n’existe réellement qu’au moment et dans le lieu où s’accomplit la métamorphose.
L’œuvre est faitepourêtre représentée et pour être donnée à la vue ; là est sa finalité. Mais la représentation qui, au sens propre du terme, réalise l’œuvre, la rend réelle, n’est pas uniquement spectacle. En effet, il est une certaine inclinaison théorique et historique qui pense le théâtre comme ayant une origine religieuse, en ce sens qu’il a commencé par être mêlé à une cérémonie religieuse : cela ne veut pas dire que le théâtre soit religieux par essence, mais plutôt qu’une structuration dogmatique rituelle ou ritualisée inspirait les premières mises en scènes théâtrales.
Nous avons vu plus haut que les carnavals,arts extravertis de la mise en scène, ont, quant à eux, manifestement une genèse religieuse, c’est dire que les processions ou autres rituels religieux ont certainement animé un imaginaire païen de mise en spectacle. L’œuvre carnavalesque, inventant perpétuellement des scénographies et des dramaturgies qui s’inscrivent dans le mouvement de la ville même, se réalise donc dans une représentation à travers ses rituels.En revanche, les rituels carnavalesques bousculent les conventions de la représentation frontale et de fait ne sont pas les mêmes que ceux d’une religion, et sont aussi multiples et diversifiés qu’il existe de représentations carnavalesques ou encore de façons de représenter le roi carnaval.La représentation carnavalesque est en effet singulièrement nomade durant tout le défilé dans le sens où l’ensemble des groupes parcoure le dédale de la ville avec ses acteurs, ses véhicules, ses machines, son orchestre, ses tambours, ses vents, ou son matériel de sonorisation.
Une interprétation de ces rituels carnavalesques peut être rendue possible en considérant le carnaval comme une variété végétale disséminée un peu partout là où le substrat culturel le permet et lui donne sa singularité. Cependant, par delà cette diversité il existe un noyau du carnaval, une forme unique prenant des aspects différents. Les rituels sont construits selon un scénario précis qui permet de mettre en scène le groupe.
Les carnavals présentent ainsi une trame identique dont le fil conducteur peut être repéré à partir d’une description.
Aristote, Poétique, Paris, Les belles lettres, 1997.