1-2 – Déguisements carnavalesques

Le déguisement permet de se cacher – et le terme et approprié – dans la peau d’un personnage, réel ou imaginaire dont le choix est parfois loin d’être anecdotique ou innocent dans la mesure où l’occasion est donnée et trouvée de réaliser, à travers ce personnage, des actes irréalisables dans la rationalité du quotidien.

Il est une mutation de la personne réelle en un personnage fictif qui permet donc le rapprochement vers le modèle auquel elle aspire.

Le carnaval symbolise alors ce voyage collectif de tout un groupe dans des régions chaotiques hors de toute maîtrise et de contrôle social où chacun se laisserait délibérément et temporairement « possédée » par son personnage imaginaire.

Il incarne, dans un cadre institutionnel fixe et strict, et par la canalisation culturelle du débordement social, cette mise en scène d’entités extra-quotidiennes ainsi que l’établissement collectif d’un état dissociatif.

L’anonymat carnavalesque temporaire est un choix volontaire qui permet d’adopter une identité absolument impersonnelle, et ainsi de jouir d’une multitude d’identité, de personnages, réels ou imaginaires, obéissant toutefois aux règles implicites du carnaval.

Les identités sont uniquement durables à Dunkerques, parfois aussi à Cayenne – touloulou – mais restent en grande majorité éphémères – le temps du carnaval.

Cet anonymat peut tout aussi préserver de toute critique, de tout jugement, de toute convention, règle ou morale sociale, et facilite, a contrario, l’expression, la transgression, tout comme les fantasmes individuels et collectifs.

L’anonymat du masque dispose de cette faculté de mettre en parallèle deux personnages, deux personnalités sans affecter celle qui est donnée au quotidien.

Le masque jette, par jeu carnavalesque, le doute sur son identité voire induit en erreur. Il voyage et fait voyager dans une échelle sociale, biologique, historique, spatiale. Le pauvre devient riche, le sans-grade devient maître du monde, le blanc devient noir, le petit devient grand, le moderne devient historique, le beau devient laid, etc.

Le déguisement occulte ainsi chacun des repères sociaux, naturels et spatio-temporels ; il trouble en somme toute réalité, toute rationalité quotidienne, et plonge, sans ménagement, dans un univers imaginaire et fantasmagorique tous ceux qui s’y adonnent. Mais c’est un imaginaire qui est source de désordre, précise Jean Duvignaud 273 , dans la mesure où les critères de discernements, d’indentification, d’authentification sont dissout dans ce jeu humain. Qu’est-ce qui est beau, finalement, qu’est-ce qui est gai, grand, gros, homme, femme, ami, étranger, subordonné, supérieur, ordre, désordre ?

Moyen de métamorphose, le déguisement est un des signes visibles du théâtre carnavalesque. Il est à la fois réel et irréel : réel par ses liens avec le vêtement d’une époque, d’une signification, irréel parce qu’il est chargé d’une signification autre, celle d’un véritable code vestimentaire. Le déguisement carnavalesque est effectivement un processus de métamorphose dont la finalité est l’expression d’une réelle altérité. Ainsi, pour révéler une autre identité dans une pantomime rituelle, ce processus de changement d’ordre structurel de l’être social par d’autres avatars sociaux est nécessaire.

Que signifie donc cette idée de synthèse tégumentaire en soi de l’autre dans le registre carnavalesque ?Est-ce que le déguisement est pour autant un signe immédiatement déchiffrable ?

Cependant, dans la mesure où l’expression, ou l’idée finale de l’altérité, passe par une pantomime, une mise en scène spectaculaire des gestes, de l’apparence et du comportement, d’une altération et d’une modification fondamentale et manifeste de l’unité sociologique individuelle, on peut alors, pour cerner de près ce questionnement, parler véritablement d’un phénomène d’extranéité.

Alors comment interpréter cet acte d’extranéité dans le carnaval, qui, par nécessité symbolique et rituelle, impose à ses participants de mettre en scène de manière organique et de tutoyer intrinsèquement une altérité, non seulement morphologique mais tout autant structurelle ?

Notes
273.

Jean Duvignaud, « Ordre et désordre », in Carnaval et mascarades, Paris, Bordas, 1988.