Métamorphose

En considérant de facto le déguisement carnavalesque comme un système qui puise ses éléments dans des registres aussi bien sociaux que culturels, il serait alors chimérique de vouloir ici en fournir une explication exhaustive et de penser épuiser cette polysémie à partir des trois carnavals pris en compte pour ce travail. Mais considérons, pour ce faire, la métamorphose comme l’expression authentiquement téléologique de ce qui dépasse l’apparence ou la forme quotidienne, comme le changement d’un état, ou plus précisément comme une métaphore, c'est-à-dire comme une réponse à un procédé qui consiste en une modification de sens par substitution analogique, un mécanisme qui ouvre le passage du sens propre au sens figuré ou du signifiant au signifié. Le déguisement entendu comme une expression de langage ou comme acte de communication permet alors de dépasser son unique aspect scénique.

Si pour trouver quelques éléments moteurs de comparaison, nous regardions aussi du côté de la nature : la métamorphose existe en effet dans la nature aussi bien pour les animaux – insectes et reptiles – que pour les roches et prend, dans ce dernier, le nom de métamorphisme. Le métamorphisme est une transformation des terrains et des roches sous l’action de la chaleur, c’est donc le changement qu’éprouvent les substances par des causes naturelles. C’est dire qu’une cause extérieure à la substance est nécessaire à l’opération du changement. Pour le carnaval, les causes ne sont bien évidemment pas naturelles instinctives, mais seraient, si elles existent, plutôt d’ordre culturels. Le métamorphisme carnavalesque trouve bien évidemment ses causes dans la structure culturelle mais aussi dans la structure sociale ; en atteste la diversité des costumes carnavalesques, leur image sociale subversive, ainsi que leur singularité locale. Nous pourrions alors présager, en nous inspirant du métamorphisme naturel, qu’un déterminisme socio-culturel, en tant qu’élément extrinsèque et a fortiori transcendant, intervient dans la métamorphose carnavalesque, dans le processus d’extranéité. Même si universellement le déguisement est certifié, l’acte, en lui-même, serait ainsi déterminé par un cadre socio-culturel. C’est ce que nous tenterons d’examiner dans ce chapitre.

La métamorphose, chez les animaux, quant à elle, correspond soit à une évolution, donc à un véritable changement d’état et non d’être, de larves à abeilles ou de chenille à chrysalide puis à papillon, par exemple ; soit à une modification d’ordre cyclique, d’être et non d’état, qui s’apparente davantage à un renouvellement d’aspect, sans être autre, par le dépouillement des appendices de surface – peau, plumes, cornes – pour en retrouver d’autres identiques mais, ou plus grands, ou nettoyés de toute impureté, telle la mue d’un serpent, d’un ver à soie, ou d’un cerf. La métaphore n’est pas anodine. Il y aurait donc, dans ce cas, deux conséquences ou deux finalités sui generis au processus de changement : l’évolution ponctuelle, la trans-formation, ou le renouvellement cyclique, la ré-formation ; l’altérité ou l’analogie. Nous postulons alors à l’appui théorique de ces prédicats animaliers, pour ce qui concerne le phénomène humain et socio-culturel carnavalesque, que, paradoxalement, l’un ne va pas sans l’autre ; mieux encore, l’un étant la conséquence de l’autre.