Symbole du roi carnaval

Dans cette perspective, quel serait alors le sens de l’exécution d’un roi – momentanément certes – unificateur ? Dans la mesure où il n’est même pas nécessaire que le roi carnaval représente un personnage particulier, puisqu’il est le symbole animé d’un groupe, nous pourrions imaginer le régicide comme un sacrilège, comme le pire acte patriotique opéré collectivement, comme le fait d’anéantir tout ce que représentait le roi carnaval : la réunion, l’unification. Le fait de tuer l’icône rassembleur tue aussi l’illusion sociale entretenue durant le carnaval, mais ne démantèle pas la réalité quotidienne, c’est-à-dire « ethnique », celle qui n’est pas dissimulée par l’anonymat du masque ou du déguisement puisqu’elle est au contraire mise en scène et en valeur dans le carnaval. Si le carnaval vise à dépasser les clivages sociaux et non pas ethniques, à l’inverse d’un rapprochement social, le régicide aurait ce sens de respecter l’orthodoxie socio-politique des cloisonnements sociaux du réel, il aurait alors un rôle politique assimilationniste et fortement acculturant pour les différentes communautés culturelles, soutenu en cela par la référence constante à une tradition fondée sur le passé culturel, a fortiori historiquement non commun à tous. 

Le carnaval incite ainsi à valoriser plutôt qu’à déprécier les identifications culturelles, processus et préfiguration alors antithétiques de la complexité de la structure socioculturelle dans la réalité quotidienne. Lorsque l’absence d’identité sociale se fait évidente dans les défilés carnavalesques, s’agite alors un autre type d’identité, ethnique cette fois.

On pourrait alors postuler que plus l’identification ethnique est visible dans le carnaval, moins elle l’est dans la réalité, et plus les cloisonnements sociaux sont notoires dans la réalité quotidienne, moins ils le sont dans la fête carnavalesque ; et par extension, ou par transitivité, plus l’anonymat social est important dans le carnaval, plus l’identification ethnique est visible ; ainsi moins elle serait visible dans le quotidien plus les cloisonnements sociaux seraient important.

L’unité culturelle est ainsi gage d’unité politique comme d’unité sociale.

Ainsi, le carnaval est ainsi engendré par la réalité du quotidien autant que le quotidien se légitime par l’opposition radicale du carnaval.

Le carnaval serait alors la métaphysique d’une réalité courante. D’une part, l’allégorie carnavalesque représente la contestation de l’idée même de règle,le désordre, le chaos, l’absence de loi et d’identification sociale,tout en accomplissant néanmoins une satisfaction formelle, idéale, limitée et maintenue à l’écart de la vie courante, d’autre part, les particularismes culturels exacerbés qui posent la question du mélange des genres, autant du sublime et du grotesque que du formalisme et du folklorisme, représentent à l’inverse l’ordre en une loi carnavalesque qui institutionnalise politiquement la diversité culturelle et investit la réalité courante.

Cependant, à l’opposé d’un nivellement ou d’une uniformisation social, le carnaval est source d’ethnodiversité permanente et spontanée, alors base de dynamisme. La créativité constante de la de la diversité culturelle carnavalesque autorise la diversification des formes, des styles, des modèles de costume, des pratiques, et en finalité la survie temporelle et spatiale d’une telle fête.

Dans la mesure où la légitimité culturelle de l’apparence social est en jeu dans ce complexe phénomène rituel, on ne peut plus parler simplement de pantomime carnavalesque mais véritablement d’une métamorphose hypertélique d’ordre structurel et culturel dans laquelle l’altérité et l’extranéité jouent un rôle social central. C’est le carnaval qui délimite le cadre d’expression politique, mais c’est le déguisement carnavalesque qui autorise la subversion de cette expression cadrée, donc qui dépasse la finalité première du déguisement. La métamorphose carnavalesque est en somme culturellement une hypertélie sociale et politique, celle-là même qui dépasse la structure téléologique proprement culturelle et permet l’entreprise créatrice.