Pédagogie fantastique

Revenons, pour répondre à notre questionnement, aux œuvres de Jérôme Bosch.

Placé sous le signe du paradoxe, les représentations fantastiques du peintre excèdent les limites « normales » du temps et surtout de l’espace. Cependant, les fondements picturaux sont essentiellement sociaux et religieux. Débarrasser alors ses oeuvres de nombreux excès interprétatifs auxquels il a donné lieu et les replacer dans leurs fondements et dans leur contexte permet ainsi une vision neuve, du moins davantage objective. Saisir le carnaval de ce point de vue autorise également à se détacher d’une perception essentiellement basée sur l’émotion.

On sait effectivement qu’un triptyque utilisé comme retable, à l’époque de Bosch, ne pouvait être que destiné à un autel catholique, lui-même n’acceptant que des scènes optimistes, et on sait également que les œuvres picturales de cette taille, de cette ampleur laborieuse et de cette minutie ne pouvaient que faire l’objet d’une commande. Ainsi les méditations surréalistes triptyques consacrées au Mal et au profane, peintes par Bosch, ne pouvaient qu’être un message religieux, une présentation alternative entre sacré et profane, entre mal et comportement acceptable ou légitimé par le dogme religieux.

Il en va de même pour la fête carnavalesque. On peut ainsi émettre l’hypothèse que si un ensemble de comportements insolites et déviants vis-à-vis des règles morales du quotidien est autorisé ponctuellement mais cycliquement, et ce depuis des décennies 288 , c’est que d’une part, les institutions qui administrent et réglementent les carnavals sont elles-mêmes acceptées et reconnues par la société en général, in extenso, que la localité plus particulièrement y trouve un intérêt non seulement esthétique, et d’autre part que ces comportements soulignent également une pratique alternative et dialectique bipolaire.

En montrant le mal omnipotent et prépondérant, on met en exergue la figure de son inverse.

Les innombrables représentations fantastiques, bêtes curieuses ou encore plantes ou fruits fabuleux en raison de leurs cavités et de leurs piquants, que Bosch a mis en image, mettaient aussi les valeurs et les normes des individus, attirés par la dimension profane, face à un comportement adéquat et légitimé par les autorités religieuses. Eduquer par l’image, telle était l’une des fonctions des œuvres de Bosch.

Nous pourrions alors penser que dans les carnavals, des thèmes opposés, tels ces insectes géants, ces animaux bipèdes, cette végétation en mouvement, intensifient la notion de nature superbe mais inquiétante et menaçante, mettant ainsi en relief instinct et contrôle de soi, liberté et contrainte, nature et civilisation.

Notes
288.

Quelques siècles pour la métropole (Chalon et Dunkerque), des dizaines d’années pour Cayenne, mais quelques années pour Saint Denis (création officielle de 1996). Les dates des premiers carnavals dans chaque localité demeurent noyées dans les incertitudes historiques avec des pratiques et des appellations en perpétuelle modification ou évolution.