Erotisation

L’exécution et la finalité sont identiques pour les figures érotiques, que l’on retrouve par ailleurs, aussi bien en carnaval que dans les œuvres de Bosch. Les scènes mythologiques dans lesquelles des nymphes, des incarnations de Vénus, des sirènes, des femmes dévêtues sont peintes comme des images qui incitent au contrôle de soi invitent incidemment à se procurer quelques plaisirs terrestres.

En carnaval, les coutumières scènes ou déguisements érotiques créent, de même, cette ambiguïté insoluble, un peu comme une catharsis contrôlée. Ils sont montrés sans condescendance et avec récurrence, en un ensemble d’images qui justement ne pourraient pas souffrir d’une existence bienveillante en dehors du cadre strict de la fête carnavalesque. C’est sans ménagement social que sont exhibées, dans les défilés, des iconographies dont la finalité demeure à l’inverse, encore une fois, de proposer un discours comportemental civil acceptable.

Pour leurs effets érotiques, les sujets carnavalesques paraissent de même représenter un avertissement contre les instincts. Le choix de l’excentricité et de la provocation ostensible caractérise systématiquement chaque représentation érotique durant le carnaval chalonnais. Ce sont souvent des hommes, généralement corpulents et pourvus de toisons pileuses développées, qui exhibent d’artificiels appendices mammaires et leurs postérieurs dans de multiples scènes mimant l’acte coïtal. Parfois vêtus en femme, en religieuses, ou en religieux, ils jouent à remonter les plis de la robe jusqu’à dévoiler des jarretelles.

Cette extravagance érotique chalonnaise utilise alors son corollaire et son inverse humoristique comme désengagement irraisonnable afin de déresponsabiliser de ce fait même l’acte érotique proposé à la vue de tous.

Lorsque l’érotisme sort de sa sphère privée c’est pour s’afficher en acte improbable de provocation collective sur la place publique. L’extravagance en est alors sa médiation et son message l’inverse.

À Dunkerque, on utilise plutôt le ridicule lorsque la part érotique du comportement s’affiche publiquement dans la période carnavalesque, pour s’affranchir d’une authenticité sociale, aidé en cela par les déguisements qui usent déjà de caricatures grotesques.

Le grotesque est l’ennemi de l’érotisme, les attributs sexuels doivent alors rester dans le domaine strictement privé et ne pas s’étaler en public. L’extravagance érotique est une image qui séduit en adoptant une apparence trompeusement érotique.

À Cayenne, c’est plutôt la notion de groupe qui surenchérit la décrédibilisation sociale des comportements ou des déguisements dont l’érotisme affiche une suggestion extra privée. Montrer publiquement, ensemble et de la même manière, c’est-à-dire unique et sous forme de jeu, un acte privé et tabou de surcroît, permet ainsi d’instruire son antithèse. La notion de jeu souligne par ailleurs son caractère candide et affiche de ce fait toutes les apparences de l’innocence. Mais le collectif permet aussi de se libérer du tabou social, c’est grâce à lui que peuvent se profaner les tabous institués. L’acte provocateur érotique est ainsi un jeu prisé, et donc récurrent, des carnavals tant dans le choix des déguisements que dans l’orientation des comportements.

Séduction, plaisirs de la provocation, antithèse de l’érotisme, être vu et regardé avec étonnement sont les métaphores sociales et culturelles d’un profane qui sacralise d’autant plus les normes en vigueur dans la réalité courante.

Dans un défilé carnavalesque comme dans un triptyque de Bosch, un fourmillement de détails saute immédiatement aux yeux de l’observateur. Là encore, c’est ensemble, et non séparément, qu’ils livrent une explication et une compréhension. Chez Bosch, chaque détail du panneau central du triptyque est un élément essentiel au discernement des deux autres volets.

En carnaval aussi, chaque détail concourt à l’entendement global d’un tel phénomène festif.

Les comportements érotiques paraissent symboliser l’état d’obéissance à l’instinct, à l’appartenance terrestre et plus spécifiquement de la luxure. L’opposition collective à la conduite « normale » publique est ici apparente, mais ce qui importe alors c’est plutôt la manière de s’opposer, par la fête, à l’orthodoxie sociale. L’acte de simulation érotique s’affiche alors comme un autre moyen de se libérer des directives préétablies moralisantes et s’avérer révélatrice du contexte socioculturel dans lequel s’exerce l’acte subversif.