La couronne, pour les reines, est un accès à un état de signifiance, elle est donc à considérer bien plus que comme le simple reflet de critères de beauté. Elle apparaît davantage comme la projection codée de fantasmes et de modèles culturels d’une partie de la population qui véhicule ainsi une identité locale. Le corps des reines de beauté est donc le « corps-signe » d’une beauté fonctionnelle tournée non pas vers la population elle-même qui se reconnaît dans ce corps, mais davantagevers l’Autre, l’Etranger, à la manière d’une bannière officielle.
La couronne des reines est ainsi une couronne qui souligne le corps et non, à la différence des rois carnavals, la fonction et le symbole. Leur corps joue alors cet intermédiaire entre la communauté et les étrangers : il joue un rôle de communication sans autre contenu que celui de communiquer sur la communauté dont elle est issue.
En attestent à ce propos les professions des reines de beauté, qui à Chalon sont pour l’essentiel étudiantes, c’est-à-dire disponibles à toute signification, entre enfant et femme, entre écolière et salariée ; quant aux autres, elles font déjà, en quelque sorte, « profession » de leur corps en étant par exemple vendeuses, serveuses, ou encore hôtesses d’accueil.
Le corps des reines est ainsi instrumentalisé par la communauté comme support de représentation, mais il est néanmoins couronné, c’est-à-dire qu’il est déifié.
En revanche, à la différence de leurs homologues masculins, le règne d’une reine ne dépasse pas l’année. Une autre élue lui succédera. Le roi, même s’il est exécuté en fin de cycle carnavalesque, renaît chaque année sous une apparence identique. C’est le même roi qui apparaît chaque année devant ses sujets accompagné de reines, qui elles sont distinctes d’une année sur l’autre. Leur corps sera remplacé par un autre, et la signification qu’on lui fera porter sera toutefois semblable.
C’est donc bien la signification de son corps qui est reproduite et non la personnalité de la reine.
Les reines de carnavals élues 339 sont ainsi des corps culturels qui présentent et représentent une idéologie politique, celle que véhicule le groupe qui les choisit chaque année. Elles sont en somme porteuses d’un ordre, d’une idée et d’un système politique démocratique, à la différence du roi qui, lui, manifeste publiquement le caractère immuable et intemporel du principe monarchique qui le maintient en place d’un cycle à l’autre et le fait renaître chaque année.
Son régicide et sa renaissance représentent alors un principe de déification, qui le hisse au rang de non humain, à l’inverse des reines qui ne sont considérées que comme des « beautés démocratiques ».
Le roi, représentant d’une monarchie, est exécuté par le peuple à la fin des festivités carnavalesques alors que les reines, symboles de démocratie, signifient par leur élection les valeurs politiques de la société.
La couronne est dans ce cas un artifice politique momentané, une ritualité faciale et agit comme un signifiant politique légitimé.
Mais avant d’être un roi politique, le roi carnaval est un monarque éphémère, imaginaire et imaginé, représentant d’un royaume de fantasmes et de fantaisie, et son existence demeure soumise aux rituels de son peuple.
Notons que le système électif qui fait naître une reine donne une chance, en apparence, égale à toutes les prétendantes à parvenir à la souveraineté, au pouvoir suprême, à un aboutissement social. Mais l’illusion sociale est marquée par un règne fondamentalement éphémère, et la société se déculpabilise ainsi en manifestant un principe d’égalitarisme d’une société quotidienne clivée et hiérarchisée tout en entravant le développement de désirs révolutionnaires.