3 –Rituel carnavalesque

3-1 – Purification

Les rois tout comme les présidents, ou encore les drapeaux, ont une valeur rituelle des plus importantes dans la vie quotidienne. Ce sont, en ce sens, des éléments essentiels de l’ordre social et culturel, et par là même, ils engendrent une attitude rituelle prescrite par avance. Les représentations qui y sont liées participent au sentiment collectif d’appartenance à un groupe et contribuent ainsi à la continuité et au maintien de la société en tant que telle.

Lorsqu’ils se présentent à leur peuple, la ritualisation de l’acte se fait de manière stricte.

L’entrée d’un monarque dans une ville faisait l’objet, durant tout le Moyen Âge et la Renaissance, de fêtes et de réjouissances, et était cadrée par un protocole connu d’avance.

En carnaval, l’entrée du roi dans sa ville est assujettie également à un cérémonial ; le décorum diffère toutefois, nous l’avons décrit en première partie, d’une ville à une autre.

De même, il est d’usage que son exécution s’effectue avec des normes, des rituels imaginés afin d’ourler en quelque sorte l’existence symbolique d’un monarque éphémère.

Les rituels carnavalesques constituent alors un appareil culturel qui permettent de transformer le monarque éphémère, le roi des fous, en un corps symbolique. Mais ce passage au symbolique est empreint de violence. Le roi est en effet brûlé vif à la fin de son règne, il est aussi pendu et noyé à Chalon, en plus de son beurdolage 340 dans les rues de la ville.

En fin de cycle rituel, le roi carnaval est présenté devant un tribunal extraordinaire fonctionnant comme un tribunal civil ordinaire avec ses juges, ses instances et ses bourreaux 341 . Incarnant le Mal, source du désordre de la société, il est chargé de tous les maux de la cité. Ce tribunal fantastique use donc de son autorité légitime pour obtenir le départ, l’expulsion définitive de l’esprit du mal.

Le symbole du mal est pourtant, durant tout son règne, adoré et respecté à la manière d’un chef d’état, mais aussi glorifié et adulé ; des chant sont écrits et clamés à son intention : en atteste l’abondante littérature le concernant, ainsi que les chants repris en cœur – et en boucle – lors des différents défilés carnavalesques ; des danses sont chorégraphiées sommairement mais collectivement, son image exhibée de façon ostentatoire et perpétuelle comme caution au désordre, puis il sera mené dans la joie à son audience, avant d’être traîné devant ses bourreaux et exterminé, de la façon la plus répandue dans les carnavals, c’est-à-dire par le feu, cet élément qui semble habité d’une vie autonome, parfaitement extrinsèque à la communauté et indomptable par aucune puissance naturelle ou surnaturelle.

Effectivement, les supplices que subissent les condamnés à mort au moment de l’exécution, précise Michel Foucault, sont fortement liés au type de crime : « Utilisation de supplices « symboliques » où la forme de l’exécution renvoie à la nature du crime : on perce la langue des blasphémateurs, on brûle les impurs, on coupe le poing qui a tué 342 ». Ainsi, le roi carnaval est considéré comme impur puisqu’il est, dans les carnavals observés, exécuté par le feu.

Notes
340.

Cf. Première partie, monographie du carnaval de Chalon.

341.

Rituel visible à Chalon, supposé ou négligé à Cayenne et à Saint-Gilles.

342.

Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 48.