Le feu dispose aussi, avec la métaphore de la fonte et de la fusion, de cette rare capacité, double, à séparer tout d’abord les matières, tout en anéantissant les impuretés matérielles, puis a posteriori à solidifier de manière substantielle chacune des composantes essentielles à l’objet fini.
En d’autres termes, ce qui a reçu l’épreuve du feu, gagne donc à la fois en pureté mais aussi en homogénéité.
Il en est de même pour ce monarque qui subit en priorité l’épreuve du feu pour son action purificatrice, mais qui renaît, encore plus vivant, l’année suivante.
« Ce qui ralentit néanmoins la purification de l’idée de du feu, c’est que le feu laisse des cendres. Les cendres sont souvent considérées comme des excréments 345 ». Ce sont précisément ces substances essentielles même qui font renaître le roi carnaval. Les cendres se transforment alors dans le monde carnavalesque en substances matricielles, source de vie.
De même, dans cette notion de purification absolue et de renaissance, le feu inclut aussi l’idée de changement : la destruction nécessite un changement, un renouvellement, elle laisse place nette. « Le feu suggère le désir de changer, de brusquer le temps, de porter toute la vie à son terme, à son au-delà 346 . » Le roi est mort, vive le roi !
C’est en ces différents caractères que l’action purificatrice - à la fois objective et subjective - du régicide assure soit la reproduction de l’ordre établi, soit l’administration d’un désordre dans la mesure où son action rend conforme à la norme ou est passible d’un traitement social que l’on pourrait qualifier de « thérapeutique collective ». Notons que la nature contractuelle du rituel purificateur par le feu fonde l’incapacité du monarque, représentant d’un royaume de fous, à constituer un nouvel ordre organisé, en contre point de celui déjà établi antérieurement et déterministe, et demeure ainsi in extenso marginalisé à tout autre pouvoir institutionnel.
Il est donc cantonné dans une marge idéologique mais insoumis à toute instance transcendante. Il n’en demeure pas moins une voie subversive d’expression chargée de créativité et un rôle social de premier plan.
Le roi carnaval, présent dans chaque carnaval, résidant dans un autre monde et n’existant que de façon mythique, représente une entité surnaturelle que l’on convoque cycliquement pour soigner le groupe de ses maux et troubles subis tout au long de l’année. C’est une entité qui, identifiée collectivement, avec son expulsion et son exorcisme en fin de rituel, permettra de « soigner socialement» le groupe entier. Ce personnage souvent fictif, représenté par une effigie, incarne le « pouvoir thérapeutique » inaccessible au commun des mortels.
La maladie est collective, c’est donc collectivement qu’il s’en décharge. Le mal est social, c’est donc socialement qu’il s’en libère.
Le carnaval, ses rituels, ses esthétiques et ses diverses composantes constituent en somme cet état intermédiaire dans lequel s’introduit la phase thérapeutique que le corps social peut exécuter cycliquement.
La carnaval se dote alors, rituellement, d’une capacité sociale de rendre exogène un ensemble de troubles ou de désordres – pourtant intrinsèquement endogène – et ainsi de se débarrasser socialement et symboliquement de toute culpabilité.
Ibidem, p. 177.
Ibidem, p. 39.