Le sacrifice est également conçu sur le modèle de l’échange, en don et contre-don, concept cher à Marcel Mauss, de prestations et contre-prestations. Il a pour objet d’interposer une victime entre le monde sacré et le profane, qu’il s’agit de mettre en contact l’un avec l’autre. C’est davantage une sorte de rachat collectif qu’une seule profanation, comme le pensait alors Durkheim.
Mais le sacrifice est avant tout un acte de consécration ; il faut un intermédiaire pour que l’homme et le divin puissent communiquer ensemble. Le sacrifice est alors entendu comme une manipulation du sacré.
Toutefois, le rituel du sacrifice ne se retrouve pas intégralement dans le schéma carnavalesque. Il procède en effet d’un « rite d’entrée » où le sacrifiant est purifié, dépouillé de son être profane. Le corps détruit est mis en relation avec le monde – sacré ou profane – qui doit profiter du sacrifice. Un « rite de sortie » permet au sacrifiant de revenir au monde profane qui est désormais relégitimé puisque métamorphosé.
C’est un cycle qui repose sur la distinction durkheimienne entre le sacré et le profane. Mais dans le carnaval et le travail qui nous concerne, il est difficile de transposer ce schéma dans la mesure où la distinction entre sacré et profane n’est pas objective, et encore moins évidente. C’est un schéma qui n’a donc pas de valeur heuristique pour ce travail ; exit alors les concepts de profanation et de contagion. Gardons plutôt, de manière opérationnelle, seulement la valeur cathartique de ce schéma, le symbole de la mort du bouc émissaire ainsi que la notion de rachat et celle de vitalité créatrice qui fonde la solidarité et la communion des hommes entre eux, que l’on retrouve dans chaque carnaval.
Le sacrifice, dans le carnaval, représente ainsi la célébration d’une trêve, et, schématiquement une situation sociale donnée, destinée à réparer une offense.
Le sacrifice carnavalesque, c’est le paradoxe du rite de mort qui protège contre la folie, contre le désordre, mais c’est surtout le rite - positif - créateur qui insuffle la vie. Le meurtre rituel du bouc émissaire permet en effet de libérer son pouvoir bienfaisant et créateur tout en symbolisant et célébrant aussi et par là même, la victoire de la communauté toute entière.
Ainsi, « lorsque la communauté est attaquée du dehors, expose Mary Douglas, le danger extérieur engendre la solidarité à l’intérieur 360 ». Mais si le danger vient de l’extérieur, ou a été invité à pénétrer à l’intérieur, comme pour le carnaval, l’attaque est réprimée par la structure communautaire toute entière qui fait front et en ressort grandie et d’autant plus réaffirmée.
Mary Douglas, op.cit., p. 154.