« Tu es terre et tu retourneras à la terre 361 ». Ainsi se présente, dans la culture biblique, le discours chrétien sur la mort des hommes et la culture qui associe le corps à la terre.
Nous pouvons alors utiliser une métaphore botanique pour synthétiser cette fonction biblique du rite de purification présent dans le carnaval : les végétaux morts ainsi que tout ce que le jardinier rejette, sont réutilisés sous forme de compost 362 , pour aider la croissance de nouvelles pousses ; le jardinier le réenfouit alors dans la terre pour le renouveau de la vie.
Jean-Thierry Maertens nous informe de la même manière que : « La crémation est au nomade ce que l’inhumation est au sédentaire 363 ». Or dans le monde carnavalesque, en général terre de confession catholique, sinon chrétienne et de population en grande majorité sédentaire, on assiste plutôt au contraire.
L’inhumation se systématise en effet chez les Hébreux dès leur installation en Palestine, en lien étroit avec la culture de la terre, ou plus précisément avec l’inscription de la culture dans la terre, par l’appropriation du territoire par les vivants. Le défunt assure par là une fonction fécondante. L’inhumation est donc un mode d’appropriation du sol et également le reflet politique d’un discours culturel.
L’embaumement et la momification, dans un même discours politico-religieux, engagent la survie du corps, la continuité dans le temps malgré sa mort matérielle, et rend ainsi semblable aux vivants. C’est une opération de déification par une mise en représentation du défunt.
À l’inverse, la crémation d’un corps est synonyme d’éradication de la culture et de la terre, ou en d’autres termes du quotidien de la population. Il est un moyen rapide et efficace de nettoyer la terre d’une quelconque souillure mais aussi un rituel qui permet de signifier que le corps n’a pas d’attache spatiale précise ni donnée.
D’un point de vue religieux, la crémation contredit l’idéologie résurrectionnelle de l’Eglise Catholique et interdit par là au défunt la possibilité de ressusciter.
Un cadavre sans sépulture rappelle l’insignifiance du défunt pour le groupe. Ainsi les cimetières marins, qu’on peut en rencontrer sur l’île de La Réunion, à forte charge symbolique, proposent un semblant d’inhumation aux individus disparus en mer en enterrant quelques effets du défunt, et affirment la présence continue du défunt parmi les vivants.
Mais le roi carnaval est un monarque dont le royaume est marqué par l’inverse des choses, sa personne incarne donc cette vie à l’envers, même s’il n’est ni déifié ni considéré comme phénix, il renaît de ses cendres et ses sujets se réjouissent de sa mort.
Dans cet ordre d’idées et à partir de Jean-Thierry Maertens, on pourrait penser que le fait de brûler le corps du roi carnaval, symbole du désordre, se ferait dans le but de nomadiser ce désordre, de ne le rendre que passager, donc temporel ou ponctuel, mais surtout de le déterritorialiser. Lui ôter et espace et temps permet alors de le désignifier, lui et tout ce qui l’accompagne, c'est-à-dire les actes de folie et de désordre de ses sujets.
L’absence de tombe pour le roi est bien le symbole de la volonté collective de sa déterritorialisation autant spatiale que sociale, comme si le sort des vivants dépendait de la mort de leur roi éphémère.
Le régicide social devient ainsi nécessaire à la survie et au maintien de la réalité de l’organisation sociale actuelle.
La Bible, Genèse III, 19.
Engrais végétal naturel obtenu après pourrissement des matières végétales.
Jean-Thierry Maertens, Le Jeu de mort, Ritologiques 5, Paris, Ed.Aubier Montaigne, 1979, p. 35.