3-3 – Roi bouc émissaire

Chargé des qualités négatives de la société, le roi carnaval doit, selon l’expression et la thèse de Jean-Claude Muller à propos des rois Rukuba du Nigeria 364 , ou « réparer le monde », ou le « mettre en place » 365 . Jean-Claude Muller voit effectivement, dans le régicide du roi Rukuba à la fin de son règne, un processus d’ostracisme qui le conduit à jouer involontairement un rôle de bouc émissaire dont le bénéfice est tiré directement par les membres de la société eux-mêmes.

Le roi voit sa force et ses sujets se retourner contre lui, n’est-ce pas parce que la société entend se protéger des excès d’une force mystérieuse et temporaire, mais cyclique, qui doit son caractère subversif au fait même qu’elle abolit dangereusement la frontière entre réalité et imaginaire ?

Les cadres sociaux et politiques qui définissent la royauté carnavalesque sont là pour contenir les débordements de cette redoutable force subversive qui, en finalité et en réalité, ne sont autres les forces de la société elle-même. La société entend ainsi se protéger contre ses propres forces de subversion, ses propres potentialités de transgression.

Le roi carnaval assume ainsi sa fonction sacrificielle : il meurt, condamné à mort et exécuté par son propre peuple, mais à la manière d’un héros sauveur, dont la mort, glorieuse, permet de sauver d’autres vies.

Mais en l’occurrence, assurant avec sa personne une certaine interdépendance entre deux mondes, l’un officiel et l’autre surréel, ou imaginaire, il sauve un ordre quotidien qui est déjà établi et qui n’était pas sur le point de subir une révolution radicale.

Le carnaval passe ainsi, paradoxalement, des pratiques à la fois individuelles et collectives d’adorcisme en laissant pénétrer, momentanément, la folie, à un exercice d’exorcisme en refusant la présence indéfinie de cette folie, avant de l’expier, de l’évincer symboliquement au moyen du châtiment exemplaire – variable localement.

Le roi carnaval est donc un corps symbolique dans lequel résonne et se dissout toute culpabilité collective.

Notes
364.

Thèse développée dans Jean-Claude Muller, Le Roi bouc émissaire. Pouvoir et rituel chez les Rukuba du Nigeria Central, Paris, 1980.

365.

Jean-Claude Muller, « La Royauté divine chez les Rukuba. Benue-plateau State, Nigeria » in l’Homme, XI, I, 1975, pp. 5-27.