4-2 – Folie

La folie, comme déraison, est reconnue depuis le XVIe siècle 372 .

Dès la Renaissance, plutôt que de soustraire le coupable avéré, atteint de folie, à la justice, les tribunaux optaient pour la solution de l’enfermement, officiellement non pour punir, mais plutôt pour soigner, puisque la folie représente la déraison et de ce fait, une menace contre les choses, l’ordre et les hommes eux-mêmes, en tant qu’êtres sociaux.

L’expérience de la mort est donc remplacée, comme ultime sentence judiciaire, par l’expérience de l’enfermement, pour ceux et celles atteints de folie.

Ainsi selon le degré de folie décrété et le crime perpétré, le fou était soit traité dans les hôpitaux en qualité de malade, soit enfermé dans les citadelles, et dans ce cas il était entouré d’un halo social de répulsion et de terreur, il était alors montré, soit il restait libre et devenait ce personnage de fou qui distrait le public.

Peut-être alors doit-on percevoir le roi carnaval comme ce « bouffon » saisi de folie dont le rôle est de distraire son propre peuple.

Si dès le XVIe siècle le fou « entre » au théâtre comme personnage à part entière, au milieu du XVIIe, la folie et la raison se dissocient définitivement et l’homme considéré comme fou n’a plus le droit de faire partie de la société. La folie devient une chosedont la raison va pouvoir s’emparer et sur laquelle la raison va pouvoir spéculer comme objet scientifique.

Pourquoi alors ce paradoxe de le laisser vivre pour amuser le peuple et l’exécuter à la fin de son règne, ou la fin du scénario carnavalesque ?

D’après l’article 64 du Code 1810 373 , il n’y a ni crime ni délit si l’infracteur était en état de démence au moment de l’acte. La folie constitue alors une circonstance hautement atténuante et le non-lieu doit être prononcé. Le crime ou le délit disparaît donc sous la folie. Fou et coupable sont ainsi déclarés antinomiques par la justice.

La sentence judiciaire porte alors en elle une appréciation de « normalité » en plus d’un jugement de culpabilité.

Or, il est avéré que la sentence qui juge le roi carnaval, à Chalon, roi des fous par excellence, ne comporte ni circonstance atténuante, ni non-lieu, ni appréciation de normalité.

Il est condamné systématiquement à mourir, sans ménagement aucun, sous les yeux et en place publique.

À Cayenne ou à Saint Gilles, le roi n’est même pas convoqué à son procès, puisqu’il n’y en a pas, il est directement exécuté par le peuple sur la place publique.

Néanmoins, ce régicide peut être considéré comme un véritable acte sociale, dans le sens où le roi souffre de folie, mais d’une folie sociale et collective qu’il a inséré insidieusement dans la société ; le roi souffre de la folie de son peuple, et le peuple souffre de son roi qui sème et répand la folie dans tout son royaume. Et dans ce cas, la folie n’est plus une circonstance atténuante puisque c’est cette maladie incurable qui est à l’origine de tous les maux de le population et des déséquilibres de la société : le roi souffre, il importe alors de l’euthanasier.

Notes
372.

L’œuvre picturale de Jérôme Bosch La Nef des Fous, peinte vers 1494-1500 est une représentation singulière de la Nef des folles (ou « des fols ») de Josse Bade, paru en 1498 et directement inspiré du recueil de poèmes satiriques, best-seller du poète Sébastien Brandt publiée en 1494. Le philosophe Didier Erasme en éditant en 1511 l’Eloge de la folie montre que la folie n’est qu’un cortège de défauts mineurs des hommes. Cf. Première partie

373.

Cité par Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975,p. 25.