5-2 – Rituel politique

L’exécution rituelle du roi carnaval, en fin de scénario festif, est en somme à comprendre comme un rituel politique, comme une cérémonie par laquelle le pouvoir local et établi manifeste son autorité, comme une action politique allant précisément à l’encontre de l’action politique du vivre ensemble spontané et désordonné, momentané, de la population ou encore comme une répression « légale », selon des règles préétablies, d’une transgression.

Le système punitif carnavalesque doit alors être replacé dans son champ de fonctionnement plus global, c’est-à-dire politique, et non seulement juridique, qui seul, ne peut rendre compte du phénomène social qu’il représente.

La sanction et l’exécution du monarque ne sont pas simplement des mécanismes négatifs permettant d’exclure ou de détruire un bouc émissaire, ou servant de parade à une violence sociale destructrice, ou encore métaphorisant la fin d’un cycle ou d’un règne imaginaire, mais au contraire ils ont, sinon une fonction, du moins un sens positif de soutenir l’ordre établi et d’entretenir le pouvoir politique en place.

Autrement dit, qu’il soit de paille ou de carton-pâte, le corps imaginaire du roi carnaval, qui est parfois jugé avant d’être exécuté en fin de rituels festifs, fait parti d’un ensemble politique : les rapports de pouvoir opèrent sur lui une prise immédiate. Il en est investi, marqué et assujetti dans le sens où il représente aussi le peuple. Il devient en somme un instrument politique, ou plutôt l’instrument d’une politique.

La violence qui s’exerce sur lui est une violence idéologique, celle de l’ordre des autorités contre le désordre du peuple.

L’infraction réalisée par le roi carnaval, au-delà de la règle collective de droit qu’il enfreint, porte en premier lieu tort à l’ordre établi et surtout à ceux qui le maintiennent en place. Ce sont donc davantage les autorités établies qui subissent le crime comme une injure à leur pouvoir.

Le crime attaque alors indirectement les représentants du pouvoir local, qui par ailleurs, valident et légitiment les règles de droit.

La sentence, la condamnation et l’exécution, au-delà du respect des lois ou de la réparation des dommages causés à la collectivité, représentent l’intervention, également indirecte, des autorités sur le corps du roi carnaval, comme une réplique d’un pouvoir contre une attaque à ce pouvoir, comme une réponse des représentants de l’ordre à l’encontre du représentant du désordre.

Dans le châtiment ultime que subit le monarque du royaume des fous, il y a ainsi une part non négligeable d’intervention ou de réparation du tort politique, la vengeance politique d’un affront qui a été porté sur le symbole même de l’autorité : l’ordre.

En effet, les désordres causés par les sujets du roi carnaval et par les crimes qu’il a accomplis lui-même, sont sans commune mesure avec ceux commis simplement à l’égard d’un particulier ; ils visent indirectement mais sûrement l’ordre et ses figures, les autorités et leurs pouvoirs.

Le renversement du  « micro pouvoir » qu’incarne le roi carnaval est un signe de pouvoir ou une manifestation de la puissance des autorités souveraines en place, transcendantes et dominantes ; métaphoriquement, à la manière de l’autorité qui lie le vassal à son suzerain.

C’est dire qu’investir politiquement le corps du roi carnaval, par le biais de son exécution, permet d’y inclure toute la transcendance de l’ordre établi avec son cortège d’autorité et de pouvoir stable.