Conclusion

Le dérèglement social institué par le carnaval qui initie entre les groupes un autre processus identificatoire ne peut donc exister que dans et par cette autonomie singulière cadrée par un temps et un espace indépendants de la réalité quotidienne. L’être ensemble carnavalesque se construit par conséquent à la fois dans une confrontation et un dialogue cadrés des identités et, d’une part, dans la con-fusion des règles qui définissent couramment ces identités et d’autre part, dans la di-fusion d’autres règles identificatoires.

En ce sens, la théorie mathématique des ensembles identitaires de Cornélius Castoriadis permet de saisir pleinement cette notion essentielle d’autonomie construite en dehors de la réalité quotidienne et de ses bornes temporelles : « Les rudiments logiques de la théories des ensembles (…) posent et constituent explicitement à la fois le type d’objet, dans sa plus grande généralité, requis par la logique identitaire et les relations posées et constitués l’un par l’autre, l’un moyennant l’autre, inséparablement 466 . » « Pour pouvoir parler d’un ensemble, poursuit-il, ou penser un ensemble, il faut pouvoir distinguer – choisir – poser – rassembler – compter – dire des objets 467 . »

L’être ensemble proprement carnavalesque dresse ainsi les caractéristiques du carnaval comme celles d’une fête éminemment et ontologiquement sociale. Le carnaval est en ce sens un temps à part, consacré à des activités symboliques et collectives, à fonction sociale, qui se réfèrent à une identité tout aussi locale que plus singulièrement socioculturelle. Il est en effet le temps et le lieu fixé par le calendrier qui réactive ou active les liens unissant les membres d’un même groupe entre eux ainsi qu’au reste de la collectivité, en soulignant précisément cette double appartenance.

Le carnaval forme ainsi un système local et structuré qui permet, une fois l’an, aux membres d’une même localité, d’être ensemble différemment, et, de fait, à chacun des groupes de manifester publiquement une autre existence, imaginée et esthétique.

Le carnaval est donc cet espace public, ouvert cycliquement, qui permet à une ville d’afficher – c’est-à-dire de rendre public – une unité culturelle plurielle, et aux différents groupes de montrer à la fois leur être et leur vie. Il est en somme cet espace identificatoire performatif.

L’instant carnavalesque n’est pas seulement illumination, il est aussi ostensiblement création.

Notes
466.

Cornélius Castoriadis, op.cit., p. 305.

467.

Ibidem, p. 306.