1-2 – Imaginaire

Gaston Bachelard présente l’imaginaire comme un appel et une évasion 475 . Sa philosophie, ou plutôt sa métaphysique de l’imaginaire, est présentée dans son ouvrage sur l’imaginaire de l’eau comme une expérience de l’ouverture et de la nouveauté. « Les forces imaginantes de notre esprit, débute-t-il son ouvrage, se développent sur deux axes différents. Les unes trouvent leur essor devant la nouveauté ; elles s’amusent du pittoresque, de la variété, de l’événement inattendu. L’imagination qu’elles animent a toujours un printemps à décrire (…). Les autres forces imaginaires creusent le fond de l’être ; elles veulent trouver dans l’être, à la fois, le primitif et l’éternel 476 . »

Pour Sartre, l’imaginaire est également disposé dans le champ lexical de l’ouverture et du possible, de la faculté du « pur-possible » 477 , précise-t-il dans L’imaginaire 478 .

Jean Starobinski dans son ouvrage La relation critique 479 saisit l’imaginaire comme un pouvoir d’écart, comme une distance vis-à-vis du réel, de l’immédiateté du quotidien, comme un pouvoir que se donne l’homme pour esquisser les contours d’un possible, d’un réalisable, d’« un avenir d’ordre indistinct ».

Cornélius Castoriadis dans L’institution imaginaire de la société 480 conçoit la notion d’invention qui se coupe du réel : « Nous parlons d’imaginaire lorsque nous voulons parler de quelque chose d’ « inventé» – qu’il s’agisse d’une invention « absolue » (…), ou d’un glissement, d’un déplacement de sens, où des symboles déjà disponibles sont investis d’autres significations que leur signification « normale » ou canonique (…). Dans les deux cas, il est entendu que l’imaginaire se sépare du réel, qu’il prétende se mettre à sa place (…) ou qu’il ne le prétende pas 481 . » Ce potentiel ou ce pouvoir refuse en somme toute adéquation à la réalité courante. Il rejoint alors ici les présupposés de Gaston Bachelard entre réalité et imagination : « L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images qui dépassent la réalité ; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent 482 la réalité. Elle est une faculté se surhumanité 483 . »

Jean Baudrillard 484 , quant à lui, affirme davantage que l’imaginaire constitue une sorte « d’hyper réel », producteur de simulation et de simulacre, issus d’un mélange entre le réel et le médium.

Tous ces présupposés sur la notion d’imaginaire renvoient de fait à la définition que nous construisons ici de la fête carnavalesque.

L’imaginaire carnavalesque, en effet, utilise empiriquement le rapport avec le symbolique iconographique pour s’exprimer mais aussi pour exister « contre » la réalité, pour passer du virtuel à l’expérience subjective ; et ce, parce que le carnaval est réellement vécu par l’ensemble des participants.

Une icône est bien un objet symbolique d’un imaginaire.

L’unité tégumentaire des différents groupes carnavalesques cayennais ou réunionnais, tout comme les bannières chalonnaises, est un symbole à fonction rationnelle : des signes de reconnaissance et de ralliement qui unissent, dans l’ordre de l’imaginaire, les protagonistes qui ne le sont pas dans la réalité courante.

Notes
475.

Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière, Paris, José Corti, 1993 (1ère éd. 1942).

476.

Ibidem, p. 1.

477.

Jean-Paul Sartre, L’imaginaire, Paris, Gallimard, 1940.

478.

Ibidem.

479.

Jean Starobinski, La relation critique, Paris, Gallimard, 1970.

480.

Cornélius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, Coll. « Esprit », 1975 (5ème éd)

481.

Ibidem p. 177.

482.

En italique dans le texte

483.

Gaston Bachelard, op.cit. p. 23.

484.

Jean Baudrillard, L’Autre par lui-même, Paris, Galilée, 1987.