2-1 – Concours carnavalesque

Chacun des carnavals observés dispose en effet d’un agencement concurrentiel et compétitif qui permet à la fois de hiérarchiser les groupes carnavalesques entre eux et de récompenser certains d’entre eux selon des critères à la fois très spécifiques et rigoureusement locaux.

Ces concours distinguent et couronnent en même temps les groupes qui se sont particulièrement illustrés lors des défilés carnavalesques et ce autant à Chalon, à Saint-Gilles qu’à Cayenne.

À Chalon, les différents prix sont décernés peu avant la Grande Cavalcade du Triomphe de sa Majesté Carnaval, c’est-à-dire le deuxième dimanche de défilé, de sorte que les groupes primés puissent arborer fièrement leur prix lors du défilé.

À Cayenne, le groupe qui remporte le premier prix peut l’année durant représenter la ville et son carnaval lors de représentations culturelles extérieures, notamment lors de rencontres carnavalesques en Amérique du sud et caribéenne ou encore dans la métropole française.

On perçoit alors tout l’enjeu des prix carnavalesques aussi bien pour les groupes eux-mêmes que pour la ville ou plutôt pour l’instance organisatrice des carnavals qui par là contrôle toute la ritualité et les singularités de chacun des carnavals.

En effet, chaque concours carnavalesque est soumis à un règlement très strict édicté par les instances elles-mêmes qui s’octroient ainsi la possibilité culturelle de contrôler l’intégrité de l’ensemble des rituels carnavalesques.

La catégorie « hors concours » sanctionne ainsi toute liberté prise à l’encontre des critères et des règlements spécifiques de chaque concours. À Chalon il y a même le concours dit « gôniotique » et celui dit « carnavalesque » qui récompense les groupes qui ne s’inscrivent pas dans l’esprit « gôniotique », c’est-à-dire traitant avec sarcasme d’un sujet d’actualité 503 . À Cayenne, l’instance modifie chaque année le thème du concours qui prescrit étroitement les critères de sélections. En 2002, le thème était : « Tradition et modernité » et excluait donc potentiellement du concours carnavalesque tout groupe dont la manière de défiler s’écartait des traditions guyanaises. À Saint-Gilles, compte tenu de la jeunesse de ses défilés, le concours carnavalesque permet d’ordonnancer une ligne directive des futurs carnavals en récompensant les groupes qui suivent respectueusement cette ligne.

La finalité de ce type de contrôle carnavalesque permet d’attacher ou plutôt de structurer l’ensemble des groupes carnavalesques conformément à l’orthodoxie culturelle globale et à une identité locale déjà reconnue.

Toutefois, le but n’est pas seulement la soumission aux objectifs identitaires mais aussi l’animation cyclique de l’esprit de compétition culturelle dynamisant la fête elle-même.

À l’inverse, le système carnavalesque se dote donc par le concours carnavalesque d’un cadre juridique et d’une dimension à la fois disciplinaire et concurrentielle se traduisant en actes binaires par la récompense ou par l’exclusion de l’ensemble rituel reconnu.

Le concours carnavalesque est ainsi constitué comme un moyen de contrôler l’orthodoxie de l’ordre culturel architecturé par la ville et son intermédiaire l’instance organisatrice. Par conséquent, la conformité culturelle éphémère peut donc aussi, dans ce cas précis, devenir une alternative à la conformité ordinaire, celle de l’ordre social du quotidien, dans la mesure où le succès culturel carnavalesque – gagner un prix – devient un signe de reconnaissance ordinaire, dépassant le cadre délimité de l’univers festif et l’ordre du ludisme esthétique.

Notes
503.

Ainsi, il m’a été rapporté par un groupe gôniotique lors du carnaval 2006 à Chalon dont le char et les déguisements amalgamaient la figure politique de Nicolas Sarkozy et du problème biologique de la grippe aviaire, que ce groupe était l’un des derniers « vrais » groupes gôniotiques et que presque tous les autres n’étaient que des groupes « carnavalesques ».