L’autorité légitime du roi carnaval permet donc de garantir un certain ordre, celui du carnaval avec ses normes et règles culturelles et sociales singulières. Mais, avance Nicolas Tenzer, « L’autorité est garante de l’ordre social et donc politique, mais elle lui est extérieure. Si la politique et l’autorité sont antinomiques, la politique suppose l’autorité. Ce qui fonde (…) le pouvoir politique, conçu comme condition de l’existence d’un espace politique, est le pacte fondateur 516 . » On saisit alors davantage ici la figure du « pantin politique » mû par les instances carnavalesques sur la scène publique. Il faut en effet, pour que soit garanti l’ordre social et politique ordinaire, que la figure réelle de l’autorité soit extérieure au chaos festif.
Si les instances carnavalesques permettent ainsi de légitimer les règles et usages festifs, au-delà, et de façon sous-jacente, elles se posent néanmoins en articulation des modalités de la vie culturelle et sociale, elles ordonnent les représentations collectives des groupes carnavalesques et alignent les manières d’agir dans la fête.
« Alors qu’on oppose souvent la représentation et l’action, le spectacle et la vie, écrivent Marc Abélès et Henri-Pierre Jeudy, il apparaît clairement que l’image est une dimension constitutive du « réel » politique contemporain, qui se plie aux règles du jeu de la communication 517 . » La mise en représentation ou en scène d’un ensemble de pratiques culturelles constitue en effet un moyen essentiel de la communication politique.
Par cette mise en scène, le carnaval ouvre une forme de communication alternative dans le sens où les participants développent leur propre manière d’expression et de dialogue tout en permettant à tous les groupes carnavalesques d’exploiter une scène publique ouverte.
Cette scène ouverte s’offre alors comme une scène politique libre de communication et ceux qui détiennent ce pouvoir de mise en scène détiennent aussi les clefs de la communication politique.
Mais pour reconnaître plus précisément le carnaval comme objet politique ou objet de politique, il est nécessaire de le concevoir comme un processus à l’œuvre dans l’identification politique même si tangiblement il ne paraît pas l’être.
Nous pouvons alors nous demander si la sphère proprement carnavalesque est délimitée politiquement dans l’espace mais aussi dans le temps, ou si l’univers carnavalesque est réellement circonscrit ?
Il est bien évidemment difficile d’y répondre ici dans la mesure où cette problématique intègre une dimension diachronique et dynamique sur un long terme et doit être réinscrite dans la dynamique sociale globale.
Il faudra alors plutôt répondre au questionnement suivant : est-ce que le carnaval peut être objet d’enjeux politiques ?
Pour répondre à cette problématique partons d’un principe simple qui, dans la mesure où les hommes vivent ensemble, se reconnaissent et s’identifient comme membres d’un même ensemble humain, se soumettent aux mêmes autorités qui, elles, maintiennent un ordre relatif à l’aide d’un système judiciaire et législatif établi pour le bien du groupe, fait qu’ils entretiennent une entité d’ordre politique.
Entrons alors dans le domaine de l’anthropologie politique entendue comme autre dimension du social, et considérons la politique comme un mode d’existence intrinsèque et transcendant à la sphère sociale et culturelle.
Nicolas Tenzer, op.cit., p. 215.
Marc Abélès, Henri-Pierre Jeudy, op.cit., p. 257.