Conclusion

La politique s’inscrit certes dans une continuité avec les représentations et les valeurs du passé. Elle gère les affaires actuelles ou urgentes mais elle est aussi un art de prévoir, d’anticiper et d’organiser l’avenir conformément aux attentes et aux idéaux. Nous pouvons dès lors affirmer que le carnaval, dans son monde imaginaire vécu, propose une vision concrète à la fois du passé et de l’avenir de sa propre société afin de guider des choix et de transformer des possibles en futures réalités.

En d’autres termes, cette trame de souvenirs collectifs et communs, ce vivre ensemble sublimé, ces images culturelles esthétisantes, ces affects individuels et cet être ensemble social alternatif qu’instruit le carnaval ne sauraient être autres que l’imaginaire politique d’une société et les fondements imaginés de sa politique.

Le présent constitue donc le temps du commencement dans l’univers carnavalesque mais ce temps du commencement est saisi comme la clé d’une action politique, entre passé et futur.

Nous avançons alors que l’univers imaginaire du carnaval, exposant une représentation de sa propre société, de son histoire, de ses valeurs, de ses projets, permet de guider une transformation ou un maintien de sa propre réalité, et qu’en cela, le carnaval est un acte politique cyclique et éphémère.

Ainsi, le carnaval pose les possibles d’une autre réalité, et donne une direction et une orientation au peuple qui vit de façon pragmatique une autre expérience du quotidien, située entre passé, présent et avenir.

En revanche, il ne faut par pour autant voir dans le carnaval une révolte ou les potentialités d’une révolte qui déploie une violence destructrice et qui expérimente dans la ville un vivre ensemble et un être ensemble tout à fait inédit. Les cadres mythiques du passé s’opposent comme un mur redoutable à toute révolution et le symbole du sacrifice du roi carnaval permet un retour à la stricte rationalité du quotidien.

Afin de sortir de la domination de la rationalité instrumentale conduisant à une perte générale du sens, le carnaval développe une autre forme de logique : l’irrationalité communicationnelle. Le carnaval permet alors de concevoir l’individu de manière collective et plurielle et non plus individuelle ou isolée. À travers la communication cyclique de sa mise en scène dans l’espace public, le carnavaldevient porteur de lien social et de sens politique. La source de cette irrationalité est la culture échangée sur la place publique du fait précisément qu’il n’y a d’interaction culturelle possible sans une adhésion mutuelle délibérée à une communauté.

L’imaginaire politique du carnaval constitue donc un moyen dont disposent les individus régulièrement pour être ensemble différemment et pour agir sur leur quotidien.

Ainsi donc, cet agir politique carnavalesque est double : il est scénique puisqu’il exacerbe une forme de comportement social dans lequel les groupes carnavalesques se mettent culturellement en scène dans le but de donner d’eux, aux spectateurs et aux autres groupes, une certaine image de leur existence, et il est normatif puisqu’il demeure régulé par des normes culturelles locales et dans ce sens l’irrationalité communicationnelle reste alors une activité consensuelle dans laquelle existe un accord normatif préexistant entre l’ensemble des protagonistes. Il n’est donc pas téléologique, forme d’agir carnavalesque qui impliquerait une certaine stratégie de comportement individuel indépendamment des comportements collectifs.

Ce concept d’irrationalité communicationnelle permet ainsi de comprendre comment les pratiques culturelles sont médiatisées par un imaginaire politique dans l’instant carnavalesque et celui d’imaginaire politique permet donc de réintroduire dans le monde carnavalesque la dimension sociale et politique inhérente à sa compréhension.

L’irrationalité communicationnelle propre au carnaval aboutit de ce fait à une conception subjective de la rationalité politique, fondée sur le monde de fantasme vécu. L’activité irrationnelle de cette forme de communication politique singulièrement carnavalesque est alors au fondement de la valorisation d’un principe politique alternatif qui permet de remettre en cause l’emprise de la raison dans l’univers politique.