Annexes

Annexes 1 : Didier Erasme, Eloge de la folie, Paris, Flammarion, 1999

Extrait :
La Folie parle
 :

‘« Quels que soient les propos que le monde tienne sur mon compte (car je n'ignore pas combien la Folie est mal famée, même auprès des plus fous), il n'est pas moins vrai que c'est moi, oui, moi seule, qui ai le secret d'égayer les dieux et les hommes. Ce qui le prouve hautement, c'est qu'aussitôt que j'ai paru au milieu de cette nombreuse assemblée pour prendre la parole, une joie extraordinaire a brillé sur toutes les figures. Soudain, vos fronts se sont déridés; vous avez applaudi par des rires si aimables et si joyeux qu'assurément, tous tant que vous êtes, vous me paraissez ivres du nectar des dieux d'Homère, mélangé de népenthès, quand tout à l'heure, sombres et soucieux sur vos bancs, on vous eût pris pour des échappés de l'antre de Trophonius. De même que quand le soleil montre à la terre sa face éclatante et radieuse, ou que, après un rude hiver, le printemps reparaît, ramené par les zéphyrs, tout change aussitôt d'aspect, la nature rajeunie se pare de riantes couleurs; de même, dès que vous m'avez aperçue, vos visages se sont transformés. Ainsi, tandis que d'habiles rhéteurs, par de longs discours soigneusement préparés, parviennent difficilement à dissiper l'ennui, moi je n'ai eu qu'à me montrer pour en venir à bout.
    Quant au sujet qui m'amène aujourd'hui dans cet appareil inusité, vous allez le savoir, si vous daignez m'écouter, non pas avec les oreilles que vous prêtez aux sermons des prédicateurs, mais avec celles que vous avez coutume de dresser sur la foire devant les charlatans, les baladins et les bouffons, ou bien celles que notre cher Midas montra jadis à Pan. Il m'a pris fantaisie de philosopher un moment avec vous, non certes comme ces pédants qui, de nos jours, farcissent la tête des enfants de bagatelles assommantes et leur enseignent à disputer avec plus d'entêtement que des femmes, mais à l'exemple de ces anciens qui, pour échapper au nom décrié de sages, adoptèrent celui de sophistes. Ils s'appliquaient à célébrer par des éloges la gloire des dieux et des héros. Vous allez donc entendre un éloge, non d'Hercule ni de Solon, mais le mien propre, celui de la Folie. » ’