La proclamation de Pariset

A en lire la déclaration du Commissaire de la République Pariset le 15 juillet 1848 à Cayenne, les anciens esclaves sont libres....pas si évident puisqu’ils doivent continuer à vendre leur travail à leurs anciens maîtres ainsi qu’avoir l’obligation de loger quelque part, c’est à dire en définitive sur les terres de leurs "anciens" maîtres. L’argent a remplacé les chaînes.

‘Mes amis,’ ‘Dans quelques semaines l’esclavage va cesser à la Guyane. Le 10 août prochain, vous entrerez dans un nouvel ordre social , vous serez tous libres. Les magistrats qui ont été récemment dans les quartiers, vous ont expliqué quelle sera votre position dans cet état de choses. Etre libre ce n’est pas être indépendant de toute obligation, au contraire, comme tout le monde, vous dépendrez désormais pour votre conduite et pour vos besoins, de la société et des lois. C’est Dieu lui-même qui a créé l’homme pour vivre en société et qui ne permet pas que chacun puisse faire, sans règle, toutes ses volontés.’ ‘En même temps qu’il nous a donné notre libre arbitre, qu’il nous a accordé des droits, il nous a imposé des devoirs auxquels il faut savoir nous plier, et vous aurez à respecter les droits chez les autres comme il les respecteront chez vous. Déjà vous avez vu vos anciens maîtres, dans cet esprit de fraternité et de conciliation venir au devant de vous pour traiter des conditions auxquelles vous pourriez consentir à leur louer votre travail. C’est la reconnaissance de votre droit. Devenus libres, votre travail vous appartient, personne ne peut l’exiger sans être préalablement convenu avec vous d’un juste paiement ; vous ne serez plus obligés de le donner à un maître. Mais votre travail n’a de valeur qu’autant que vous pourrez l’appliquer et pour l’appliquer il faut des propriétés disposées pour le recevoir et l’utiliser. Or, les propriétés appartiennent toutes à des habitants. Il faut donc pour mettre en oeuvre le travail qui vous appartient, que vous vous entendiez avec ceux à qui appartient la terre.’ ‘Sur les habitations où vous êtes actuellement, il existe des cases, des terrains à vivre sur lesquels le propriétaire doit compter pour loger et établir les travailleurs nécessaires à son exploitation ; ces cases, ces terrains ont une valeur proportionnelle dans l’ensemble de la propriété, si vous y demeurez, vous devrez en compensation au propriétaire un loyer ou un certain temps de travail, la justice le veut ainsi, et comme quelque part que vous alliez vous aurez toujours à envisager en première ligne cette obligation, je vous engage à examiner avant de changer de lieu, si vous y avez avantage, s’il ne vaut pas encore mieux conserver des cases et des abatis auxquels vous êtes habitués plutôt que d’aller faire des essais ailleurs, où les premiers temps seront nécessairement difficiles puisque tout y sera à créer. Il faut vous dire que sur ces biens se trouvent des vieillards, des infirmes qui ne peuvent se déplacer comme vous. Ces vieillards et ces infirmes ont travaillé dans leur temps et ont aidé à vous élever. L’humanité vous fait un devoir de concert avec vos anciens maîtres, de leur prêter aujourd’hui aide et assistance, c’est là une charge de chaque communauté, et si vous ne prenez à cet égard des arrangements en restant sur vos habitations respectives, si vous les quittez, comment pourrez vous faire que le propriétaire qui n’aura plus de revenus, ne les abandonne pas aussi à son tour ? Je dois vous présenter toutes ces choses, comme votre ami, parce que je vous porte un grand intérêt comme à des hommes qui sentent le prix du bienfait dont ils sont l’objet, qui sont capables d’entendre la voix de la raison, et qui libres désormais ne voudront pas rétrograder dans les voies de la civilisation.’ ‘Ainsi, encore, je dois vous prémunir contre l’abandon des travaux de grande culture pour aller, sur de petites habitations vous borner à faire des vivres. Le couac, la cassave, les bananes ne peuvent se vendre que dans la colonie. Les bâtiments de France n’en prennent pas. Si donc il en vient beaucoup sur le marché, vous en ferez baisser le prix, à peine même trouverez-vous à les vendre, et vous n’aurez pas d’argent nécessaire pour acheter les provisions et les effets d’habillement dont vous aurez besoin. Les marchands du dehors ne peuvent apporter des salaisons, de la vaisselle, des étoffes, des vestes, des chapeaux, des chemises qu’à la condition de trouver dans la colonie du sucre, du café, du coton, du roucou, du girofle à acheter en retour, et c’est, de leur côté, avec la vente de ces produits que les propriétaires auront de quoi vous payer vos journées, ou que vous pourrez vous même procurer de l’argent. Vous comprenez bien cette combinaison qui fait que votre travail a besoin de terres et des usines de l’habitant, tout comme l’habitant a besoin de votre travail pour mettre ses terres et ses usines en rapport, et que, sans ce double concours, la colonie serait condamnée à ne plus faire de denrées pour l’exportation et retournerait à l’état sauvage.’ ‘Vous avez encore quelques jours devant vous. vous I pèserez ces réflexions. Ceux qui voudront quitter les propriétés où ils ont été jusqu’à présent pourront le faire. je vous , le répète, mes amis, vous serez libres, mais vous devrez , vous entendre avec les habitants chez lesquels vous voudrez vous transporter. Des ateliers nationaux seront ouverts , sur les propriétés domaniales, à la Gabrielle notamment, pour ceux qui ne trouveraient pas à s’employer sur les habitations particulières et, suivant leur force et leur travail, il leur sera accordé une rétribution convenable. Le Gouvernement vous donnera tous les moyens de vous utiliser, mais il ne veut pas de vagabondage, et les individus qui s’abandonneraient à l’indolence et à l’oisiveté, qui croiraient pouvoir passer leur temps en courses dans les quartiers ou en canot sur les rivières, ou qui iraient s’établir sur les terrains de l’état, seront arrêtés par la police et seront livrés aux tribunaux, qui les enverront aux ateliers de discipline. Il en serait de même de ceux qui commettraient des désordres, qui se livreraient au vol ou à des dégradations. La Guyane ne doit compter que des citoyens honnêtes et utiles, pouvant toujours justifier de leur domicile le et du travail qui les fait vivre, et toutes les mesures seront prises pour les encourager et les protéger.’ ‘Je ne vous parle pas de la rémunération de votre travail. Divers arrangements peuvent être faits à cet égard, soit que vous entriez en association avec les propriétaires chez lesquels vous vous placerez, à la condition d’une part dans la récolte, soit que vous affermiez des terrains à cultiver à moitié fruits soit que vous travailliez moyennant des salaires à la tâche ou à la journée. C’est un objet à débattre entre vous et les propriétaires et dans lequel le respect même de votre libre-arbitre fait un devoir au gouvernement de ne pas intervenir. La diversité des cultures, la diversité des localités dont est favorisé ce beau pays de la Guyane, comporte d’ailleurs tous ces divers modes. Mais une fois les conditions arrêtées, les conventions passées, il faudra les exécuter avec loyauté, et persévérance, sans se laisser rebuter par quelques mécomptes tenant quelquefois aux intempéries des saisons ou à des premiers essais. S’il s’élevait des difficultés entre vous et ceux qui vous emploieront, des jurys seraient institués à porter des justiciables dans les cantons pour entendre les plaintes pour prononcer avec équité et rendre à chacun suivant son droit.’ ‘Mes amis, vous êtes sur le point d’aborder une grande épreuve. La République vous a appelés sans transition, de l’esclavage à la liberté. Les colonies étrangères contemplent ce spectacle avec étonnement. Ne cédez pas à un premier entraînement ; Réfléchissez, et prouvez-leur que pour vous, comme pour vos frères d’Europe, vous saurez garder la noble , devise de la France :’ ‘La Liberté, l’Egalité, la Fraternité, dans un travail fructueux et honorable, dans la paix publique, dans les liens de la famille, dans l’obéissance aux lois de la religion et de la patrie.’ ‘Cayenne,le 15 Juillet 1848.
Le Commissaire Général de la République, PARISET.’