0. 4. Repères chronologiques

Les faits historiques s’inscrivent et se succèdent toujours dans la durée qui, elle-même, ressemble à un fleuve charriant sans discontinuer ses eaux et laissant au regard l’impression de l’infini et de l’indéterminé. Et pourtant pour naviguer dans ces eaux, le marin doit placer les repères, sorte de panneaux indicateurs qui lui permettent de mesurer les distances parcourues et de se situer par rapport aux rivages atteints. Et l’historien est comme le marin. Son récit n’est compréhensible que placé dans un temps discontinu où certains événements sont considérés comme des points de ruptures ou des panneaux indicateurs.

Nous avons limité notre étude entre 1885 (terminus a quo ) et 1933 (terminus ad quem ). Ces deux dates sont significatives. La première marque l'arrivée des premiers Européens – Wissmann et son équipage – chez les Ding orientaux (le 19 juin). La descente du Kasaï par l'Allemand est un tournant décisif aussi bien dans la connaissance de ce grand affluent du fleuve Congo que dans la mise en valeur de son riche bassin. Sur le plan international, 1885 est l'année où, officiellement, à la conférence de Berlin, les puissances européennes se partagent l'Afrique et les peuples de ce continent perdent, pour plusieurs années, leur autonomie et voient leurs identités culturelles fragilisées par le modèle occidental.

La seconde date (1933) correspond au départ définitif des Jésuites d'Ipamu qu'ils ont fondé en 1921. Cette date est aussi significative dans l'histoire administrative du Congo. Un important décret est promulgué cette année-là. Il réorganise en profondeur les structures politiques indigènes en créant, à coté des « chefferies » et « sous-chefferies » réputées traditionnelles et spécifiques, des « secteurs » issus le plus souvent du regroupement autoritaire de circonscriptions indigènes défaillantes. C'est à partir de cette époque que se dessine la carte administrative de l'actuel territoire d'Idiofa. En 1933, les Ding orientaux et leurs voisins (Lele, Wongo, Mbuun, Ding occidentaux, Ngwi, Lwer, etc.) subissent une répression assez sévère. L'autorité coloniale arrête et relègue plusieurs chef locaux qui ont adhéré au mouvement religieux appelé « Lukoshi » ou qui ont introduit ce mouvement dans leur chefferie ou leur village.

Notre étude s 'étale donc sur une durée de 48 ans qu'il est possible de diviser en d'autres petites périodes :

-1885-1901 : Cette première période est marquée par l'arrivée des premiers Scheutistes belges au Congo et la création par Rome du Vicariat de l'État Indépendant du Congo. Les Ding orientaux font théoriquement partie de cette juridiction ecclésiastique, mais le premier missionnaire catholique – Émeri Cambier - ne sera de passage chez eux qu'en 1891, en route pour fonder Luluabourg (Mikalayi). En 1892, un décret du roi Léopold II ouvre le bassin du Kasaï au commerce libre. Plusieurs compagnies commerciales s'y installent pour acheter le caoutchouc et l'ivoire. La région des Ding orientaux est aussi occupée et les factoreries européennes sont établies à Nzonzadi, Pangu, Lubwe et Mangaï. Au même moment, à partir de Luluabourg, les Scheutistes essaiment progressivement dans le Kasaï. Ils tentent de fonder, sans succès, un premier poste de mission chez les Ding orientaux, à l'embouchure de la Loange, en 1898 et 1899. En 1901, la Propagande sépare la « Mission du Haut-Kasaï » du Vicariat Apostolique du Congo Indépendant. La frontière Ouest de cette nouvelle entité est fixée à la rivière Lubwe et les Ding orientaux intègrent la nouvelle circonscription ecclésiastique. Un autre événement qui aura une influence décisive dans l'histoire missionnaire dans cette région, c'est la création, en cette année 1901, de la Compagnie du Kasaï (C.K.) par un décret royal. Cette société commerciale va collaborer avec les missionnaires catholiques et les aider à étendre leurs fondations.

-1901-1914 : Cette deuxième période est caractérisée par un progrès rapide de la mission du Haut-Kasaï. En 1904, elle est élevée au rang de Préfecture Apostolique sous la conduite de Cambier. Celui-ci met en place un système de collaboration avec la C.K. qui consiste à faire transporter, moyennant finances, le caoutchouc et d'autres charges de la Compagnie par les « travailleurs de la mission ». Cette économie de portage sera bénéfique aux scheutistes jusqu'au déclin du commerce du caoutchouc naturel à partir de 1910. C'est la collaboration entre la C.K. et Cambier qui a permis la fondation en 1908 d'un poste de mission à Pangu, chez les Ding orientaux. La «Question congolaise », la cession par Léopold II du Congo à la Belgique et la chute des ventes du caoutchouc naturel entraînent la C.K. dans une crise financière qui l'oblige à supprimer ses aides aux missionnaires à partir de 1913. Au même moment, Cambier connaît des difficultés non seulement avec les autochtones et les agents de l'État, mais il est aussi désavoué par sa propre congrégation et rappelé en Europe. À Pangu, la suppression de l'hôpital et des subsides aux missionnaires par la C.K rend la vie peu aisée et l'apostolat difficile. À partir de 1914, les Scheutistes pensent à céder ce poste aux Jésuites de la Préfecture voisine du Kwango.

-1914-1921 : Pendant la première guerre mondiale, la Belgique est envahie par les Allemands; à partir de 1916, les Scheutistes, ayant fui l'occupation, établissent leur quartier général à Londres. Au Kasaï, Cambier est remplacé par Égide De Boeck jusqu'à l'érection en 1917 de la Préfecture en Vicariat Apostolique. Auguste De Clerq est nommé premier évêque titulaire en août 1917. Le nouveau vicaire apostolique continue les négociations entamées avec les Jésuites par son prédécesseur en vue de la cession de la région de Pangu. Les Scheutistes abandonnent Pangu en 1919. En 1920, les premiers Jésuites prospectent la région et s'installent à Ipamu en 1921.

1921-1931 : Le Père Yvon Struyf est le fondateur officiel d'Ipamu mandaté par Mgr De Vos. Il avait été précédé en ce lieu par l'abbé Vanderyst. Les premières années sont éprouvantes pour les missionnaires qui devaient faire face à l'hostilité des agents de l'État et du commerce installés depuis longtemps dans la région. En 1924, un jeune missionnaire, Puters, venu en 1923, meurt inopinément.

Du côté des autochtones, la révolte des Ngwi et le meurtre de leur chef en 1921, amplifie la répression de l'État et un contrôle des plus en plus rigoureux des populations.

Le 28 mars 1928, la préfecture du Kwango est élevée au rang de Vicariat Apostolique. Mgr De Vos cède sa place à Sylvain Van Hee qui devient Vicaire Apostolique.

En 1928 (le 17 juin), les premières religieuses, les Sœurs de Sainte Marie de Namur s'établissent à Ipamu et une année plus tard, en 1929, une autre congrégation religieuse, les Sœurs de Saint François de Sales de Leuze, s'installent à Mwilambongo, poste fondé par les Jésuites en 1926.

À partir de 1929, le krach de la bourse de New-York , provoque une grave crise économique mondiale. Les compagnies qui exploitent l'huile de palme chez les Ding et leur voisins subissent le contre-coup de cette crise. Les populations locales récriminent contre les Blancs. En 1931, les Pende, au sud du territoire des Ding orientaux se révoltent. En cette même année, après de laborieuses négociations, les Supérieurs jésuites acceptent de céder Ipamu et sa région (Mwilambongo, Kilembe) aux Oblats de Marie Immaculée.

1931-1933 : Le premier Oblat, Hubert Eudore, en provenance du Basutoland, arrive à Ipamu en 1931. Il sera suivi par d'autres confrères qui prendront progressivement possession de leur nouveau territoire. Entre 1931 et 1933, à Ipamu, Mwilambongo et Kilembe, les Oblats vivent avec les Jésuites qui les initient à la vie congolaise. Le dernier jésuite, le Père Struyf quitte définitivement Ipamu en janvier 1933.

C'est suivant cette esquisse chronologique que notre dissertation a été organisée. Mais, il convient de remarquer que les limites chronologiques ne sont que des jalons et que les faits historiques, leurs causes variées et leurs multiples répercussions débordent toujours les frontières que la logique de l'écriture tente vainement de leur imposer.