5. 2. Alexandre Delcommune, le prospecteur (1888)

Au mois de mai 1887, Albert Thys part pour le Congo. Depuis 1876 en qualité d’officier du roi, il s’était occupé des affaires de l’A.I.A, du Comité d’Études, de l’A.I.C et de l’E.I.C.

Sa mission au Congo a pour but d’étudier la question du chemin de fer Matadi-Léopoldville. Thys se rend au Congo en tant qu’administrateur-délégué de la CCCI. Il est accompagné de deux adjoints : Ernest Cambier et Alexandre Delcommune. Ces deux hommes sont des vétérans du Congo. Delcommune avait déjà séjourné au Congo. Il était arrivé à Luanda en 1874 et de là, l’année suivante, à Boma, où il est resté durant onze ans, dont huit au service de la firme française Daumas et Cie, et trois (1883-1886) en tant qu’agent de l’A.I.C 2 .

En 1888, la CCCI met sur pied une expédition en vue d’étudier les possibilités d’exploitation commerciale du bassin du Kasaï. La tâche est confiée à Delcommune. Celui-ci remonte le Kasaï en 1888 à bord du « Roi des Belges », steamer de la compagnie. Il atteint la contrée des Ding orientaux entre le 5 et le 18 juin.

Le témoignage de ce séjour, le voyageur belge le relate dans ses mémoires 1 .. Comme plusieurs autres voyageurs de l’époque, les propos de Delcommune restent laconiques.

Contrairement à Wissmann, Delcommune ne décrit pas la vie économique des Ding orientaux. Il s’arrête plutôt sur quelques faits anthropologiques. Il décrit d’abord un village de « Badinga » composé de 23 cases disséminées à la lisière d’un bois. Les cases sont aménagées, dit-il, comme celles de cette partie du Kasaï. L’ouverture qui sert d’entrée, à peine assez large pour le passage d’un homme, est à un mètre du sol.

Delcommune explique pourquoi ce genre de porte : « C’est, paraît-il, la crainte des fauves qui motive cette disposition bizarre » 2 .

Ensuite, notre agent de la CCCI relate la mort d’un chef : « Le chef vient de mourir. Son corps, entouré de belles étoffes indigènes à dessins, est gardé par ses femmes. À côté du cadavre, une esclave, attachée au moyen d’un carcan de bois, est accroupie. Elle sera sacrifiée aux mânes du chef… Dans quelques jours aura lieu la mise en en bière. Le cercueil consiste en un tronc d’arbre évidé ; on y insinue le corps, puis on en ferme l’ouverture avec des morceaux de l’écorce, et les sacrifices humains commencent » 3 . L’auteur n’indique rien sur la manière dont ces sacrifices humains se déroulaient sûrement parce qu’il n’avait pas pu y assister.

Il continue son récit en déclarant : « Les cérémonies terminées, on place, dans la hutte, le cercueil sur des pieux fourchus, au dessus les divers objets qui ont appartenu au défunt : sa lance, son arc et ses flèches, l’olifant ou trompe, sa coupe de corne. Et la hutte reste fermée pour toujours. Une véritable orgie commence. Pendant vingt-quatre heures on se livre sans discontinuer à des danses échevelées ; et le malafu et le pumbe coulent à flots » 4 . Delcommune se livre enfin à des observations sur ce qui advient du village où le chef a disparu et sur les croyances autour de la mort :

‘Généralement à la mort d’un chef, l’emplacement du village est abandonné. On ne laisse débout que la case du défunt et une autre où ses femmes se tiennent quelque temps. Celles-ci vont tous les jours, au coucher du soleil, placer près de la hutte mortuaire, une calebasse pleine de malafu et différents aliments. Le lendemain la calebasse est vide et les vivres ont disparu. C’est, dans l’esprit superstitieux de ces gens, le mort qui les a mangés et qui a bu le malafu. Un beau matin, les femmes s’aperçoivent que les provisions apportées la veille sont restées intactes. Leur rôle est terminé, puisque le mort a trouvé de meilleures victuailles là-bas, dans le mystérieux pays, où il est allé. Inutile de dire que ce sont les féticheurs qui enlèvent ces aliments et qu’ils les laissent lorsqu’ils jugent le moment venu de mettre fin à la comédie 1 .’

Ce témoignage de Delcommune, bien que truffé de beaucoup de fantaisies, renferme des éléments importants sur la configuration d’un village du 19e siècle et sur l’architecture. Il donne de précieux renseignements sur la production économique : la lance, l’arc et les flèches indiquent l’existence de la chasse ; le vin de palme ou malafu (déjà évoqué par Wissmann et Grenfell) et les calebasses constituent une autre production de la région. La description de la mort et de l’inhumation du chef d’un village nous renseigne sur les croyances religieuses et les rites mortuaires de cette époque.

La prospection du bassin du Kasaï par Delcommune n’avait pas débouché immédiatement sur un déferlement des compagnies commerciales dans cette région. Il fallait attendre que de nombreux obstacles dressés par l’E.I.C soient levés.

Notes
2.

MARCHAL, op.cit., vol. I, p. 243.

1.

DELCOMMUNE, A., Vingt années de vie africaine (1874-1893), Bruxelles, 1922, vol. I, p. 252-253.

2.

DELCOMMUNE, A., Vingt années de vie africaine…, vol. I, p. 252

3.

Idem, p. 253.

4.

Idem, p. 253.

1.

DELCOMMUNE, op.cit., vol. I., p. 253.