5. 4. Le décret secret de 1891

L’idée d’assurer à l’État le monopole de la récolte de l’ivoire et du caoutchouc a été suggérée au roi, au début de 1890, à la fois par le capitaine Van Kerkhoven et par le commandant Coquilhat 2 .

L’exploitation en régie, par les agents de l’État, devait rapidement amener dans le Trésor vide de l’État des millions nécessaires pour entreprendre et réaliser les rêves du roi 3 .

Pour mettre en œuvre cette nouvelle politique économique, le roi charge Van Kerkhoven de récolter l’ivoire dont Stanley, Lupton-Bey et l’explorateur Junker avaient signalé l’existence, en stocks immenses, dans le bassin de l’Uele, le Bahr-Gazal et le haut-Nil. Coquilhat était, quant à lui, nommé vice-Gouverneur Général à Boma, le 19 novembre 1890, avec comme mission la préparation de la nouvelle orientation de la politique économique de l’État. Le 21 septembre 1891, sous le contre-seing de Edmond Van Eetvelde, secrétaire d’État du département de l’intérieur, le roi signe le décret inaugurant sa nouvelle politique : «  Les commissaires de district de l’Uruwini-Uéle et de l’Ubangi, les chefs d’expéditions du Haut-Ubangi prendront les mesures urgentes et nécessaires pour conserver à la disposition de l’État, les fruits domaniaux, notamment l’ivoire et le caoutchouc » 1 .

Ce décret, si important, n’était transmis qu’aux autorités concernées, il sera gardé secret pendant plusieurs mois et n’apparaîtra jamais au Bulletin officiel du Congo.

Par des circulaires du 15 décembre 1891, du 4 février et 8 mai 1892, cette mesure était notifiée aux agents de la SAB et de la NAHV qui commerçaient dans le Haut-Fleuve. Dans ces textes, l’État affirmait ses droits ; il informait les commerçants qu’il était désormais défendu aux natifs d’extraire l’ivoire et le caoutchouc dans le domaine réservé à l’État. Il prévenait les commerçants que quiconque achèterait les produits du domaine de l’État, serait dénoncé à la justice 2 .

S’appuyant sur la théorie du salut public, l’État annonçait la fermeture de certaines parties du territoire au libre commerce.

Lorsque la nouvelle de la situation créée par les fameuses circulaires et les conflits y afférant arrive à Bruxelles, elle provoque la colère des milieux d’affaires. Les protestations énergiques se lèvent au nom de l’Acte de Berlin. Le secrétaire d’État du Congo, Van Eetvelde et le ministre des Affaires étrangères, Beernaert, sont interpellés aux Chambres.

Au sein du gouvernement belge, Lambermont et Banning se prononcent contre l’orientation nouvelle de l’État du Congo.

Le gouverneur général, Camille Janssen préfère démissionner plutôt que d’apposer sa signature au bas de décrets qui entravent la liberté commerciale. Il estime qu’organisant un domaine privé et son exploitation en régie, l’État met en place un système qui débouchera fatalement sur l’instauration du travail forcé.

Les administrateurs généraux Strauss et Van Neuss quittent le service de l’État du Congo 3 .

Notes
2.

WAUTERS, « La période intermédiaire… », col. 14 ; MARCHAL, op.cit., vol. I., p.144-147.

3.

L’ivoire valait, à cette époque 20 francs le kilogramme et le caoutchouc de 7 à 8 francs. Voir WAUTERS, op.cit., M.G., 1910, col. 14.

1.

WAUTERS, op.cit., M.G., 1910, col. 14-15.

2.

Idem, col. 15.

3.

WAUTERS, « La période intermédiaire… », M.G., col. 15.