5. 5. Le décret de 1892 : le bassin du Kasaï, un os à ronger

Malgré le tollé, mais fort de l’avis de quelques jurisconsultes à qui il s’était référé, Léopold II réussi à résister à la pression de l’opinion publique. Il maintient le principe de sa nouvelle politique en se basant sur la théorie des « terres vacantes » 1 .

Carte 6 : Les factoreries, Société Belge du Haut Congo 1892
Carte 6 : Les factoreries, Société Belge du Haut Congo 1892

(source : MG 1892)

Il consent, tout de même, à donner un semblant de satisfaction aux sociétés commerciales. Celles-ci, de plus en plus nombreuses à vouloir s’offrir un pactole avec le boom de l’ivoire et du caoutchouc, se résolvent à accepter le modus vivendi que leur propose le Gouverneur Wahis.

Ce compromis sanctionné par le décret royal du 30 octobre 1892 organise un régime transactionnel et transitoire. Les « terres vacantes » du territoire sont divisées en trois zones : une première zone, que l’État se réserve, qui deviendra son « Domaine privé » et qu’il fera exploitfactoer, en régie, par ses agents ; une deuxième dont il autorise l’accès aux particuliers ; une troisième qui est provisoirement réservée pour cause de sécurité publique 1 .

Le bassin du Kasaï et donc le pays de Ding orientaux entre dans la deuxième catégorie.

À la suite de ce modus vivendi dit de Wahis et du décret du 30 octobre 1892, une partie du bassin conventionnel du Congo était ouverte à la liberté du commerce 2 . Il s'était crée ainsi à l’intérieur du pays une sorte de no man’s land commercial et économique. Parmi les régions visées par le décret figuraient les rives du Congo et le bassin du Kasaï (donc le territoire des Ding orientaux) qui devient, selon l’expression de Wauters, « un os à ronger abandonné par le Roi aux compagnies privées » 3 . Dans le bassin du Kasaï, la partie concernée par le décret royale était limitée au Nord par la ligne de faîte qui sépare le bassin du Lac Léopold II de celui du Kasaï et du Sankuru, à l’Est par les territoires du Comité spécial du Katanga, au sud par les frontières de l’État, à l’ouest par l’Inzia. À partir de 1893 cette région sera littéralement investie par des sociétés commerciales européennes à la recherche de l’ivoire et du caoutchouc.

Entre 1893 et 1900 quatorze sociétés, à la recherche de l’ivoire, du caoutchouc et accessoirement du copal, investissent cette région.

L’État, malgré son retrait apparent y était aussi présent pour la « récolte » de ces mêmes produits.

Notes
1.

Par un ensemble des décrets publiés entre 1885 et 1887, Léopold II, s’inspirant des techniques de colonisation pratiquées par les Européens en Amérique du Nord, en Nouvelle-Zélande et en Australie, s’approprie toutes les terres du Congo et les répartit en trois catégories : les terres indigènes, les terres vacantes et les terres concédées à des tiers, personnes physiques ou morales. Les terres indigènes sont, d’après les règlements de l’État léopoldien, celles qui sont occupées et exploitées par les populations indigènes sous l’autorité de leurs chefs et régies par les coutumes et les usages locaux. Pour l’État léopoldien occupation et exploitation signifie la pratique de l’agriculture. Pour les autochtones, toutes les surfaces destinées à l’agriculture, à la chasse, à la cueillette, à la pêche, etc., sont considérées comme rentabilisées et appartiennent à un clan ou à une famille. Les terres vacantes étaient, pour Léopold II, celles sur lesquelles les indigènes ne pratiquaient pas l’agriculture. Ces terres étaient supposées être sans maître et abandonnées au bon vouloir du roi. Dans l’entendement des autochtones et suivant leurs lois, il n’existe aucune terre qui soit vacante. Suivant sa logique, Léopold II répartit ses « terres vacantes » en terres non mises en valeur et en domaines nationaux, exploités en régie pour permettre à l’État de financer ses dépenses. Le roi s’est aussi autorisé à concéder aux tiers des terres supposées vides. C’est ainsi que les compagnies commerciales et les missions se sont vues octroyer des propriétés foncières souvent contre la volonté des autochtones. Lire HEYSE, Th, Grandes lignes du régime de terres du Congo belge et du Rwanda-Urundi, Bruxelles, ARSOM, 1947 ; POURTIER, A., « La dialectique du vide. Densité de population et pratiques foncières en Afrique centrale forestière » in Politique africaine, n° 21, p. 10-21 ; NDAYWEL, Histoire générale…, p. 322-325.

1.

WAUTERS, « La période intermédiaire… », col. 14.

2.

M. G., 1892, p.89.

3.

WAUTERS, in M.G.,1898, col. 507.