5. 8. 3. Mangaï

Le toponyme est diversement orthographié dans différents documents. On trouve les formes suivantes : Manghay, Mangay, Mangue, Mongue, Mangaï. Cette factorerie ne se situe pas, à proprement parler, dans le territoire des Ding orientaux. Elle est reconnue être en territoire Ngwii, presque à la frontière avec celui des Ding orientaux. Elle nous intéresse parce qu’elle a attiré, dès sa fondation, les Ding orientaux de villages environnants et a été, du point de vue de l’évangélisation, en rapport étroit avec la mission de Pangu.

C’est un directeur de la Société Anonyme Belge pour le commerce du Haut Congo (S.A.B°), le Major Parminter qui établit cette factorerie le 15 mai 1893 1 . C’est à bord de l’Archiduchesse Stéphanie que Parminter dont nous avons décrit les conditions d’embauche à la SAB, quitte Kinshasa (Kinchassa) , le 1er mai, à 3 heures de l’après-midi. Sur ce même steamer se sont embarqués De Joncker, Stache, Alziari, Dasset et Defrère, le capitaine Carlier, commandant le bateau, le capitaine Petersen, chargé de faire la reconnaissance de la rivière, et le mécanicien Olsen. Deux missionnaires protestants américains avec leurs femmes et un touriste américain, un certain Vincent, se rendant à Luebo, font partie du voyage. Arrivé le 4 à Kwamouth, le directeur Parminter trouve deux de ses agents : le gérant Alexandre et son second, Beatens. Les deux hommes ont à moitié achevé la construction d’une maison, contenant chambres pour blancs, fétiches et magasin. Continuant la montée du Kasaï, l’Archiduchesse Stéphanie arrive dans la région de Mangaï :

‘A une journée et demie en amont du Pogge et à une journée en aval du confluent du Loange, sur la rive gauche du Kassaï, j'ai établi M. Alziari dans un centre populeux et à côté d'un village indigène dont le chef s'appelle Manghay, nom que j'ai donné à notre nouvelle factorerie, fondée le 15 mai. J'ai adjoint à M. Alziari M. Dasset, ainsi qu'une trentaine d'hommes 2 . ’

Le récit de Parminter sur Mangaï ne s’arrête pas là. Après une parenthèse sur les conditions de navigation sur le Kasaï, le Sankuru et la Lulwa, le directeur de la SAB fait une description de l’architecture de la « peuplade » dont Manghay est le chef :

‘À 50 milles en aval de la Lukenye, sur la rive gauche du Kassaï ; je me suis arrêté chez Manghay. La peuplade dont il est le chef est particulièrement intéressante. Enclavée sur une étendue d’environ 40 milles, entre les tribus du Kassaï, elle habite des huttes dont les toits sont en feuilles. Les murs de ces habitations sont en stipes de palmiers et mesurent souvent 12 pieds de haut ; mais ce sont surtout les portes qui sont originales. Chez les Hottentots du Kalahari, j’ai vu jadis des portes placées tellement bas que l’on devait ramper par terre pour se glisser à l’intérieur des huttes. Ici, c’est bien différent. La porte est placée au faîte du chimbeck et, pour y atteindre, on doit d’abord monter sur une espèce de plate-forme faite au moyen de branches d’arbre et haute de 4 à 5 pieds. Ensuite, il faut encore faire une grande enjambée pour arriver au seuil. J’ai pris la dimension d’une de ces ouvertures : elle mesurait 15 pouces carrés !À l’intérieur est aménagé un échafaudage semblable à celui du dehors et c’est, accroupies sur cette plate-forme, en ne laissant passer que la tête, que les femmes du village sont entrées en relations commerciales avec nous. Au bout de quelque temps, ayant pris confiance, elles sont sorties de leur cachette et sont venues s’asseoir devant leur chimbecks3.’

La relation du contact avec le village du chef Manghay se poursuit par la description de la façon dont les natifs font le marché. Le directeur de la SAB décrit l’hygiène des « indigènes », leurs vêtements, leur façon de se tenir debout et leurs tatouages. Il indique que ces gens s’adonnent à la pêche et élèvent des chiens dont « ils mangent la chair » 1 . Il conclut son récit en doutant des renseignements qu’il a reçus des natifs : « J’ai essayé de recueillir des renseignements à ce sujet, mais les natifs sont d’une méfiance telle que je n’ai rien pu en tirer. Même le nom de Manghay, qu’il m’ont donné comme étant celui de leur chef, pourrait bien être faux » 2 .

Malgré ce doute, le nom de Mangaï est resté tout au long de l’histoire de cette factorerie devenue, aujourd’hui, une cité d’une quarantaine de milliers d’habitants.

Après l’escale de Mangaï, l’Archiduchesse Stéphanie longe le territoire des Ding orientaux et le 16 ou le 17, le steamer mouille l’ancre à Nzonzadi.

La factorerie de Mangaï est mentionnée dans d’autres documents de cette époque. La carte intitulée « Emplacement des Factoreries de la Société belge du Haut-Congo » éditée en Août 1893 (échelle 1 : 5.000.000) par l’Institut National de Géographie à Bruxelles et publiée dans Supplément du « Mouvement Géographique » du 29 octobre 1893, indique « Manghay » sur la rive gauche en aval de « Nzunzadi » 3 .

Dans le carnet de notes d’Andreae, nous avons pu déchiffrer ceci à la page 64 :

‘Mangay marked. Ewansia ou state map. Alziari has a small successful kitchen-garden and covers the young plants with tree-branches. No small for here. Fine forest extending far up river 3 villages close by and one with factory; natives wont work. A has done a good deal (?) of work in the 4 months the factory established by major, but forest (high) clearing appears to me useless and robs the houses of a healthy shade. Tempry buildings at present...4

En décembre 1893, le Père De Clerq en route pour Luluabourg accompagné du père De Dekenrapporte :

‘Aussi, le mercredi 20, pouvons-nous marcher avec une pression de 10 atmosphères, ce qui nous permet d’atteindre à 4 heures du soir la station que la S.A.B. a fondée près de Mongai. Les deux agents que nous y trouvons se plaignent de ne pouvoir acheter que très peu d’ivoire, bien que les éléphants soient très nombreux dans la région. Il est vrai que le poste n’existe que depuis six mois, que les indigènes n’ont pas tort d’aimer mieux se reposer à l’ombre de leurs bananiers plutôt que de courir la forêt, avec la perspective d’être broyés d’un seul coup de trompe.5

Le religieux démontre ensuite que les noirs de la région de Mangaï ne sont pas paresseux car le manioc abonde ici et les cultures de maïs, d’ignames et de bananiers sont soignées à la perfection. En plus à leur goût pour le travail, les gens de cette contrée sont industrieux: leurs couteaux de parade sont ingénieusement façonnés, leurs flèches artistement ajustées et leurs tissus « en fibre d’ananas ou de palmier » travaillés avec finesse. Les cases de ce pays ont un toit plus aigu, plus élevé et couvert des larges feuilles d’une plante aquatique tandis que les parois sont fermées par des feuilles de palmier étroitement entrelacés 1 . Le Stanley au bord duquel le père De Deken et sa délégation ont pris place quitte Mangaï (Mongai) le 21 décembre et atteint Lubwe, ce même jour au soir. Il repart de là le lendemain mati et arrive à Nzonzadi vers 9 heures. Mangaï acquerra progressivement une notoriété commerciale évidente. Les pères de Scheut y établiront, nous le verrons plus loin, une chapelle-école. Au temps des Jésuites et des Oblats de Marie Immaculée, Mangaï sera le principal port d’embarquement et de débarquement de tous les missionnaires d’Ipamu.

Notes
1.

PARMINTER, « Sur le Kassaï et le Sankuru… » in M.G., 1893, p. 80.

2.

PARMINTER, « Sur le Kassaï et le Sankuru… » in M.G. 80.

3.

Idem

1.

Idem

2.

PARMINTER, « Sur le Kassaï… », p. 80.

3.

M.G., 1893, Supplément.

4.

ANDREAE, Carnet de notes (manuscrit), Archives historiques privées du M.R.A.C, 94. 3., p. 64.

5.

DE CLERQ, A., « Relation de voyage » in MCC., N° 65, 1894, p. 460.

1.

DE CLERQ, « Relation… », p. 461.