1. 1. Genèse de l’État indépendant du Congo (E.I.C)

L’histoire des origines de l’E.I.C. est bien connue 1 , mais il convient de rappeler brièvement quelques lignes maîtresses pour une bonne compréhension des questions qui ont touché l’implantation missionnaire.

Le tout avait commencé en ce jour du 17 décembre 1865 quand Léopold II succédait à son père Léopold I au trône de Belgique. Ce pays venait, trente-cinq ans plus tôt, en 1830, de s’émanciper de la tutelle hollandaise. Le jeune roi de trente ans cherchait une colonie pour trouver de nouveaux débouchés pour l’industrie de son pays afin de compenser ceux que la séparation avec la Hollande avait fait perdre. C’était même avant de devenir roi qu’il avait entamé ces démarches : il avait envisagé d’acheter le sultanat de Sarawak en 1860 et avait entrepris un voyage en Égypte et en Extrême-Orient en 1865. Une fois au pouvoir, il tentera, en vain, d’acquérir le Mozambique. Il se tournera alors vers les Philippines et proposera, en 1868, de les racheter à l’Espagne. C'était peine perdue.

En 1875 était apparu la version française du livre de l’explorateur allemand Schweinfurth sous le titre de « Au cœur de l’Afrique » 1 . L’auteur estimait, qu’à son avis, le moyen le plus efficace de supprimer l’esclavage des Noirs est la formation de grands ensembles politiques africains indépendants et forts. Ces ensembles réuniraient les territoires les plus exposés aux rapts pour les placer sous le protectorat de puissances européennes. Léopold II avait enfin trouvé un projet à réaliser, à la fois d’ordre humanitaire et international. Il était convaincu que, sous couvert d’une œuvre humanitaire, il pouvait se constituer un empire au cœur de l’Afrique.

C’est ainsi qu’il a convoqué une conférence internationale de géographie pour faire le point sur les connaissances acquises jusque-là sur l’Afrique. Cette Conférence Géographique de Bruxelles s'était tenu, au palais royal, du 12 au 14 septembre 1876. Les délégués de la France, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Russie ainsi que d’autres nations y ont pris part. A l’issue des travaux, il était décidé de créer une Association Internationale pour l’exploration et la civilisation de l’Afrique (A.I.A.) ; son support sera une structure souple : chaque nation crée en son sein un Comité national. Le roi, désigné président de l’association, nomme un secrétaire général, en l’occurrence le baron J. Greindl. L’A.I.A. choisit comme emblème, un drapeau bleu à l’étoile d’or. Le Comité belge de l’A.I.A. se montrera actif.

Un autre événement majeur avait décidé Léopold II à continuer son projet colonial en Afrique centrale : l’arrivée de Henry Morton Stanley 2 à Boma, en Août 1877.

En effet, Stanley, de son vrai nom John Rowlands, est venu pour la première fois en Afrique en 1871 à la recherche du missionnaire protestant David Livingstone dont on avait plus de nouvelles en Europe depuis 1869.

En 1874, avec les appuis et le soutien matériel de deux journaux américains, le New York Herald et le Dally Telegraph, Stanley entame, à partir de la côte Est, son second voyage africain. Son expédition part de Bangomoyo, le 17 novembre 1874. Son escorte est composée de 356 personnes. Il fait le tour du lac Victoria puis des lacs Albert et Édouard. Il descend vers le Tanganyika puis, par la Lukuga, il débouche sur le Lualaba qu’il descend jusqu’à Nyangwe. Il décide de poursuivre la descente du fleuve.

Il arrive au large des Falls qu’il entreprend de contourner, le 8 janvier 1877. Il parcourt sans grande difficulté le Haut-Fleuve et atteint le Pool Malebo, le 12 mars. Épuisé et après avoir perdu plusieurs de ces hommes, Stanley arrive à Boma, en août 1877. Il vient ainsi résoudre, pour la science occidentale, le problème de la source du fleuve Congo et le mystère du cœur de la forêt équatoriale.

La nouvelle de cette traversée fait la une de plusieurs journaux en Europe et Léopold II est très intéressé. En janvier 1878, il apprend que le fameux « explorateur » anglo-américain, venant de l’Italie par express, va regagner sa patrie d’origine par le port de Marseille.

Le roi saisit l’occasion et envoie ses émissaires, - le baron Greindl et le général Sanford - rencontrer Stanley et l’inviter à Bruxelles pour lui offrir de mettre au service de l’A.I.A. l’expérience qu’il venait d’acquérir en Afrique.

L’explorateur commence par décliner l’invitation, préférant accorder la primeur du capital d’information à l’Angleterre. Mais déçu par le peu d’empressement que manifeste son pays d’origine, il revient vers Léopold II. Le roi le reçoit à Bruxelles en juin 1878. Profitant de la nouvelle opportunité que lui offrent les connaissances de Stanley sur le vaste bassin du Congo, Léopold II constitue, le 25 novembre 1878, un Comité d’Etudes pour le Haut-Congo (CEHC). Cet organisme a pour objectif la création d'une voie commerciale entre la côte atlantique et la partie navigable du fleuve ; ses ressources seront constituées de plusieurs souscriptions.

Fin 1878, Stanley signe un contrat de cinq ans avec le CEHC. Il s'engage à fonder des stations, à étendre leur influence aux chefs des tribus voisines et à garder le secret de son action jusqu’au terme de son contrat. Stanley travaillera au Congo de 1879 à 1884 soit cinq années 1 . Il fonde des stations à partir du Bas-Fleuve, de Vivi à Léopoldville (1er décembre 1881), puis sur le haut fleuve jusqu’à Stanleyville (1er décembre 1883).

Au même moment, un autre explorateur, Savorgnan de Brazza, parcourt la région du Bas-Fleuve et du Pool Malebo au profit de la France. Il signe aussi des traités avec les chefs locaux et implante le drapeau français à Nshasa 2 à quelques lieues en amont de la future station de Léopoldville. Un véritable « scramble » (« course au cocher ») s’engage entre la France et Léopold II. Pour contrecarrer les prétentions de De Brazza, le souverain belge décide, le 17 novembre 1879, de dissoudre le C.E.H.C. qui dépendait d’un éventail de souscripteurs. Il crée alors, en 1882, l’Association Internationale du Congo (A.I.C) dont il est le seul maître. Cette nouvelle association a un but essentiellement politique : l’acquisition de la souveraineté pour l’ensemble des stations créées dans le bassin du Congo 3 . On voit germer, lentement mais sûrement, un État sous le couvert d’une association humanitaire.

Il fallait maintenant laisser tomber les masques et donner à cette entreprise sa signification politique. Léopold II cherche d’abord à soustraire les territoires qu’il est entrain de gagner, aux convoitises d’autres puissances, notamment celles de la France, de l’Angleterre et du Portugal. Pour gagner ce pari, il s’ingénie à faire admettre ses possessions comme des entités jouissant de « l’indépendance ». Il demande d’abord qu’on reconnaisse ses stations comme des « villes libres » (novembre 1882) ; puis il réclame que ses conquêtes deviennent des « stations et territoires libres » ( février 1883). Il ne s’arrête pas là. Il légitime ses territoires en « États libres du Congo » (novembre 1883) puis en « État libre du Congo » 4 ( janvier 1884).

Entre temps, les tensions grandissent dangereusement entre les puissances européennes qui veulent chacune s’octroyer des zones d’influence en Afrique. Il s’avère donc nécessaire d’organiser une concertation pour faire baisser la tension. C'est ce qui sera fait à la Conférence de Berlin.

Notes
1.

Tous les ouvrages qui traitent de l’histoire contemporaine commence obligatoirement par cette période de la genèse de l’E.I.C. Citons-en quelques uns que nous avons lus et qui nous ont aidés à élaborer ce paragraphe : STENGERS, J., La place de Léopold II dans l’histoire de la colonisation, La Nouvelle Clio, 1950 ; idem, Combien le Congo a-t-il coûté à la Belgique ?, Bruxelles, ARCS, 1957 ; CORNEVIN, R., Le Zaïre, Paris, PUF, 1977 ; Idem, Histoire du Zaïre. Des origines à nos jours, Hayez, Bruxelles, 1989 ; MARCHAL, J., E.D. Morel contre Léopold II. Histoire du Congo 1900-1910, L’Harmattan, Paris, 1996, 2 vol. ; Idem, L’État libre du Congo : paradis perdu. Histoire du Congo 1876-1900, Paula Bellings, Borgloon, 1996, 2 vol. ; HOCHSCHILD, A., Les fantômes du roi Léopold. Un holocauste oublié, Belfond, Paris, 1998 ; BENEDETTO, R., Presbyterian Reformers in central Africa. A Documentary Account of the American Presbyterian Congo Mission and the Human Rights Struggle in the Congo, 1890-1918, E.J. Brill, Leiden – New York – Köln, 1996; BONTINCK, F., Aux origines de l’État Indépendant du Congo. Ducuments tirés d’archives américaines, Nauwelaerts, Louvain – Paris, 1966 ; NDAYWEL, I., Histoire générale du Congo. De l’héritage ancien à la République Démocratique, Duculot, Paris – Bruxelles, 1998.

1.

SCHWEINFURTH, G., Au Cœur de l’Afrique 1868-1871 : voyages et découvertes dans les régions inexplorées de l’Afrique centrale, Paris, Hachette, 1875.

2.

Une description intéressante de la vie de ce personnage a été faite par HOCHSCHILD, Les fantômes du roi Léopold… , op.cit., 33-46.

1.

STANLEY, Cinq années au Congo (1879-1884), M. Dreyfus, Paris, 1886.

2.

BONTINCK, F., “La dernière décennie de Nshasa (1881-1891)”, dans Zaïre-Afrique, 1982, N° 169, p. 535-552, N° 170, p. 619-633.

3.

On le voit dans les traités qui ont été signés entre ses représentants et les chefs africains sur les terres desquels ils s’installaient. Jusqu’à cette date, ces traités ne concernaient que la cession de terrains, assortie de droits exclusifs d’exploitation. A partir de la fin de 1882, ils deviennent des textes de cession de souveraineté, destinés à être opposés aux revendications des autres puissances. Cette occupation du terrain continue sans relâche : des nombreux peuples sont visités dans le Bas-Congo, le long du Fleuve du Pool jusqu’au Stanley Falls et sur le Kasaï jusqu’au Lac Léopold II (actuellement lac Maï Ndombe).

4.

STENGERS, J., Congo. Mythes et réalités, Bruxelles, Duculot, 1989, p.53.