1. 3. 2. Lavigerie au secours de « millions d’âmes encore assises à l’ombre de la mort » !

Pendant qu’à la côte ouest, les Spiritains s'activent à fonder des missions, à l’est les missionnaires de Mgr Lavigerie pénètrent eux aussi à l’intérieur du continent mystérieux.

Il existe de nombreuses études sur Lavigerie, la fondation des Pères Blancs et l’action de cette dernière société missionnaire, notamment contre le commerce des esclaves à l’est de l’Afrique. Dans le cadre restreint de ce travail, nous nous limiterons à rapporter les faits qui ont directement touché le bassin intérieur du Congo.

D’après de Jean Comby, la vocation missionnaire de Charles Lavigerie se serait éveillée lorsqu’il était directeur de l’œuvre d’Orient (1857-1861) qui soutenait les chrétiens du Moyen Orient. Après avoir été évêque de Nancy, il accepte l’évêché d’Alger (1867) comme point de départ d’un vaste projet d’évangélisation de l’Afrique tout entière : «  l’Algérie n’est qu’une porte ouverte par la providence sur un continent barbare de 200 millions d’âmes… Tout dépend de la grâce de Dieu et du zèle des missionnaires » 1 .

Au service de l’évangélisation de l’Afrique, il manifeste une activité et une imagination débordantes. En 1868, il fonde la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) ; ce sont ensuite, en 1869, les Frères agriculteurs et les Sœurs agricultrices, ces dernières prenant le nom de Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique ou Sœurs Blanches. En 1879, c’est la création éphémère des Frères armés du Sahara, nouveaux Templiers au service des missionnaires 2 .

Devant ce grand zèle missionnaire de l’évêque d’Alger, Rome lui confie d’abord un vicariat apostolique qui couvrait le Sahara et le Soudan, puis une délégation apostolique pour l’Afrique équatoriale, à partir de 1873.

C’est en vertu de cette dernière délégation qu’il prend, en 1878, l’initiative d’intéresser le Pape Pie IX aux « signes du temps » que constituaient les explorations récentes, notamment celle de Stanley (1877), et donc l’ouverture du continent noir. Il présente au Pape l’obligation qui incombe à l’Église de porter « le message du Christ à ces millions d’âmes encore assises à l’ombre de la mort » 3 . Il s’agissait avant tout de lutter contre la traite des Noirs. Officiellement interdit, le commerce du « bois d’ébène » continuait, en fait, à destination du marché intérieur, de Zanzibar et de l’Orient arabe, voire de l’Amérique du sud.

Pie IX consulte la Congrégation de la Propagande et les chefs des Missions déjà établies à la périphérie du continent africain. L’appel de Mgr Lavigerie leur paraît répondre à une urgente nécessité. Mgr Lavigerie écrira, le 2 janvier 1878, au cardinal Franchi :

‘Quel spectacle plein de grandeur, un pape prisonnier dans son palais, envoyant des apôtres dans le centre, jusqu’à ce jour inaccessible, de l’Afrique, avec la mission, hautement donnée, d’y détruire l’esclavage 1

Mais Pie IX meurt avant d’avoir envoyé, comme il l’aurait souhaité, les cohortes de Missionnaires d’Alger détruire l’esclavage en Afrique centrale. C'est finalement son successeur, Léon XIII, qui, le 24 février 1878, ratifie et publie la décision de confier, à Mgr Lavigerie, la direction de l’organisation des Missions en Afrique équatoriale. Le succès de Lavigerie est tel qu’il obtient, le 3 février 1879, l’approbation, accordée pour cinq ans, des constitutions de la Société des Missions d’Afrique (SMA).

Fort de cette conjoncture favorable, l’archevêque d’Alger envisage, pour commencer, la fondation de deux Missions à l’est de l’Afrique centrale, celle de Nyanza et celle du Tanganyika. Puis voulant intéresser à son œuvre la générosité internationale, il charge son représentant, en Belgique, le Père Charmetant, de solliciter une audience du roi Léopold II dans le but d’obtenir son appui auprès des catholiques belges. Le roi, déjà intéressé par cette région, accorde volontiers l’aide demandée. En contrepartie, il propose au prélat la fondation, en Afrique orientale, d’un poste hospitalier qui pourrait héberger les voyageurs belges se rendant au centre de l’Afrique. La mission serait desservie par des prêtres belges de la société de Mgr Lavigerie et la Couronne de Belgique assumerait tous les frais. Ce projet n’a pas abouti.

Les deux Missions des Pères Blancs – Nyanza et Tanganyika, sont à peine établies, que Mgr Lavigerie obtient de la Sacrée Congrégation de la Propagande, le 30 septembre 1880, la transformation de ses deux premières Missions en provicariats et la fondation de deux Missions nouvelles : celles du Congo septentrional et du Congo méridional. Les limites du Congo septentrional allaient des sources de la Bénoué jusqu’au Stanley Pool, celles du Congo méridional suivaient le cours du Kwango, à partir du Stanley Pool. Ces nouvelles frontières ne sont pas rendues publiques. Les Spiritains ne le sauront qu’au hasard de la lecture d’un article paru dans les Missions Catholiques 2 .

Ainsi, les Spiritains se trouvent-ils bloqués dans leur pénétration vers l’intérieur par le fleuve Congo et le Kasaï, alors qu’ils ont demandé que les limites de leur préfecture soient fixées au Nord par la ligne de partage des eaux de l’Ogooué, jusqu’au 2° 30 de latitude Sud et vers l’Est par le Bassin du Kasaï qu’ils considèrent comme limite naturelle. Nous sommes, là, à la source d’une brouille longue de près de sept ans. Les trois principaux protagonistes de cette affaire seront la Sacrée Congrégation de la Propagande, le Cardinal Lavigerie et le Père Ambroise Emonet, Supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit. Pour démêler cet imbroglio politico-religieux, il a fallu l’intervention inespérée d’un quatrième larron, à savoir Léopold II, roi des Belges et jeune propriétaire de l’E.I.C.

Entre-temps à l’est de l’actuelle République Démocratique du Congo, les Pères Blancs continuent allègrement à fonder de nouveaux postes de mission : Mulweba en 1880, Kibanga en 1883 et Kapakwe en 1884.

Notes
1.

COMBY, J., Deux mille ans d’évangélisation, Desclée, Tounai, 1992, p. 229.

2.

Idem, p. 229.

3.

RENAULT, F., Lavigerie. L’esclavage africain et l’Europe 1868-1892, T.1., Afrique centrale, E. De Boccard, Paris, 1971, p. 167.

1.

De MEEUS et STEENBERGHEN, Les missions religieuses au Congo belge… p. 24.

2.

Les Missions Catholiques, n° 600, 3 décembre 1800, p. 584 :