1. 3. 4. Revendications portugaises

Au même moment où les Spiritains et les Pères Blancs se disputent, et où Stanley et Brazza cherchent à occuper le territoire, le Portugal fait revivre, sur le plan politique et religieux, ses anciennes prétentions sur la partie située entre l’Angola et le Gabon, comprenant l’estuaire du Congo. La réponse politique à cette revendication intervient à Berlin, le 14 février 1885, lors d’une transaction entre le marquis de Penafiel et le colonel Strauch 3 . À la suite de ces pourparlers, l’E.I.C. prend possession de la rive nord du Bas-Congo et se fraie un accès à l’Océan tandis que le Portugal voit ses revendications réduites à une petite bande sur la rive gauche de l’estuaire du Congo (Nioki) et à l’enclave de Cabinda.

À peine ce litige est-il réglé, que le Portugal porte la contestation sur le plan religieux. Il envoie son émissaire à Rome. Un correspondant du Ministère belge des Affaires étrangères à Rome y signalait, par une dépêche du 14 février 1885, l'arrivée de cet envoyé spécial du Portugal chargé de faire valoir les droits de son pays :

‘Un des buts canoniques (si je puis m'exprimer ainsi), mais qui ne manquerait pas d'avoir des conséquences multiples, de la mission portugaise [...] est d'obtenir, entre autres faveurs, du Saint-Siège le maintien du Droit de présentation. Il paraît, en effet, que le Portugal a le droit de présenter les candidatures pour les évêques, etc. dans la région du Congo, même lorsque cet évêque se trouve sur un territoire appartenant à une autre puissance. C'est nous, dit le Portugal, qui avons été la première puissance coloniale, c'est nous qui avons les premiers ouvert les Indes et l'Afrique aux missionnaires catholiques, nous avons lutté et luttons encore contre les protestants [...]. Le Portugal a comme religion d'État le catholicisme, il respecte et saura défendre les droits du Saint-Siège. Peut-on dire la même chose des puissances intéressées à la Conférence de Berlin 1 ?’

Que signifie ce « Droit de présentation » dont parle l'auteur de la dépêche du 14 février 1885 ? Il s’agit d’un des privilèges issus du « padrõado » ou droit de patronage concédé par la papauté aux monarchies portugaises et espagnoles. Les origines de cette concession ne sont pas clairement établies aujourd’hui. Nous savons que Henri le Navigateur assure l’avoir obtenu dès 1430, mais aucune bulle papale de l’époque ne l’atteste. Deux documents signés par Nicolas V en 1452 et 1454 indiquent que les terres découvertes ou à découvrir appartiennent au roi Alphonse et à ses successeurs perpétuellement. Les deux textes soulignent aussi que les souverains catholiques du Portugal prenaient l’engagement « en tous lieux, îles et terres, déjà acquis ou à acquérir, de construire toutes églises, monastères et autres fondations pieuses, d’y envoyer également tous les prêtres séculiers volontaires et ceux des ordres mendiants qui auront reçu mission de leurs supérieurs » 2 . C’est ce privilège qu’on désigne par le nom de « padrõado » ou droit de patronage. Concédé au départ au Portugal, ce« padrõado » sera étendu par la suite à l’Espagne par le Traité de Tordesillas (1494) 3 . C’est ce droit historique que l’émissaire du Portugal voulait faire valoir auprès du Saint-Siège, engagé à cette époque, dans les tractations diplomatiques en vue de la délimitation des juridictions ecclésiastiques en Afrique centrale.

Reconnaître ce privilège historique signifie, pour Léopold II, laisser un État étranger s’immiscer dans les affaires religieuses du Congo et avoir ainsi deux pouvoirs rivaux sur un même territoire. Ce qui est intolérable.

Sur le plan théorique les revendications portugaises se justifiaient par le fait que les Bulles conférant le droit de patronage n’avaient jamais été révoquées. Les juristes de Léopold II répondront qu’en droit, l’impossibilité matérielle où se trouvait le Portugal de remplir ses charges patronales, avait été constatée depuis deux siècles et demi : les décrets de la Propagande du 14 juillet 1634 et du 27 juin 1640, instituant sous la direction de la Sacrée Congrégation les préfectures de la Guinée et du Congo, avaient implicitement abrogé dans ces circonscriptions le patronat concordataire. De plus le Portugal acceptant de son plein gré et sans l’assentiment de son contractant, le Saint-Siège, les stipulations du Congrès de Berlin sur la liberté des cultes, renonçait, par là même, à la concession du patronat dont il n’avait pas observé la condition principale 1 .

Un précédent de plus sera établi à l’encontre des prétentions portugaises, par la création, le 24 novembre 1886, du Vicariat Apostolique du Congo français. En ne protestant pas à cette occasion les hommes d’État de Lisbonne perdaient leur crédibilité. Les administrateurs de l’E.I.C. le saisiront aussitôt, et se mettront en communication avec Rome.

Libre de tout engagement vis-à-vis du Portugal pour les motifs que nous venons d’évoquer, le Saint-Siège érigera, plus tard, le Vicariat Apostolique de l’État Indépendant du Congo. Cette décision entraînera l'abrogation du patronat religieux dans tout le territoire soumis à l’autorité de Léopold II.

Notes
3.

Le colonel STRAUCH était à l'époque Secrétaire général de l'A. I. A. en remplacement du Baron de Greindl. Il a joué un rôle important dans la relation entre Stanley et Léopold II.Son rôle a été aussi déterminant dans les négociations en vue de la reconnaissance de l'E. I. C. par les puissances à la conférence de Berlin.

1.

AMAEB, Papiers Lambermont, vol. v, sect. 11. renier, correspondance de Rome 1884-1885, cité par ROEYKENS, « Le baron Léon de Béthune et la politique religieuse de Léopold II en Afrique » in Zaïre, 10 (1956), p. 34.

2.

COMBY, op.cit., p., Lire aussi PRUDHOMME, C., Missions chrétiennes et colonisation XVIe – XXe siècle, Cerf, Paris, 2004, p. 49-50.

3.

ERNOULT, J., « Les Spiritains au Congo… », p.16.

1.

NKULU, B., La question du Zaïre et ses répercussions sur les juridictions ecclésiastiques (1865-1888), Faculté de Théologie Catholique, Kinshasa, 1982, p.73.