2. 1. Tentatives d'ouverture d'un séminaire africain

Mgr Lavigerie est le premier à avoir eu l'idée d'ouvrir, en Belgique, un séminaire destiné à alimenter ses missions d'Afrique, y compris celles situées dans la sphère l’État Indépendant du Congo. L'archevêque d'Alger s'est rendu compte que la montée en puissance des exigences nationalistes en Belgique et en Europe deviendrait un des facteurs de la réussite de toute œuvre missionnaire. Il vient en Belgique pour se mettre en contact avec les instances royales qui, à l'époque, négociaient avec le clergé belge pour trouver du personnel pour les missions du Congo. Pour montrer qu'il était prêt à s'associer à l’œuvre africaine de Léopold II, Lavigerie établit un séminaire à Woluwe, près de Bruxelles 2 . Toutefois son initiative s’avérait insuffisante devant le patriotisme du roi et de l’Église belge ainsi que la peur d’une trop grande présence politique française. Le séminaire des Pères Blancs sera toujours considéré comme une institution française en Belgique.

En 1886, le roi sollicite le Cardinal Gossens, évêque de Malines pour dépêcher à Rome, le Père Van Aertselaer, des Pères de Scheut afin que ceux-ci s’occupent des missions du Congo. Suite au départ annoncé des missionnaires Français, Spiritains et Pères Blancs, un Bref de Léon XIII, confère à l'archevêque de Malines la juridiction sur l'état Indépendant du Congo 1 .

Il fallait donc, coûte que coûte résoudre le crucial problème du recrutement du personnel nécessaire à la mission du Congo.

Au mois de juillet 1886, les évêques belges décident la création d’un séminaire africain érigé sous le vocable de Saint Albert de Louvain. Dans un mandement collectif du 16 novembre, l’épiscopat belge recommande au jeune clergé le nouvel établissement :

‘Nos très chers frères en Jésus-Christ,’ ‘Personne de vous n'ignore quel vaste champ est ouvert au zèle des missionnaires qui voudront consacrer leurs labeurs et leurs peines à l'évangélisation de l'État Indépendant du Congo. Le Saint-Siège désire vivement qu'il se rencontre le plus tôt possible des hommes apostoliques prêts à porter la lumière de notre foi à ces peuples, encore plongés dans les maux et les profondes ténèbres de l'ignorance et de l'idolâtrie. Ceux qui se voueront à cette tâche seront soumis en tout à la Sacrée Congrégation de la Propagande. Nous engageons donc, autant qu'il est en nous, les prêtres et autres ecclésiastiques qui se sentiront appelés de Dieu à l'apostolat lointain, à solliciter de leur Ordinaire l'autorisation d'entrer au séminaire fondé tout récemment à Louvain pour les missions au Congo. Après une préparation régulière dans cet établissement, ils se donneront résolument à cette œuvre si agréable à Dieu et si utile au salut des âmes. Puissent-ils se rappeler les paroles de l'Apôtre, qu'ils sont les bienvenus ceux qui annoncent la paix, ceux qui apportent l'heureuse nouvelle du salut ! Puissent-ils marcher sur les traces des héros belges qui ont jeté la bonne semence sur toutes les plages, et qui ont fait produire au champ du Seigneur une abondante moisson !’ ‘Agréez, nos chers coopérateurs, l'assurance de notre dévouement affectueux 2 .’

Ce séminaire africain devait donc recevoir les jeunes gens et les prêtres pour les préparer : « à desservir plus tard les aumôneries de l'État Indépendant, soit à travailler à l’œuvre d'évangélisation dans ces immenses et fertiles contrées, où trente millions d'âmes attendent, avec la grâce de la régénération chrétienne, les bienfaits de la science et de la moralisation... » 3

La nouvelle institution n'était pas la première du genre. Il existait, depuis trente ans, un séminaire américain à Louvain qui, à l'époque, fournissait des prêtres et des évêques aux missions et aux diocèses de l'Amérique septentrionale.

Le séminaire africain admettait des étudiants en philosophie et en théologie. Pour leur inscription, les prêtres devaient obtenir l'autorisation préalable de leurs évêques.

À part les différents domaines de la théologie, ce séminaire donnerait des cours appropriés aux besoins du pays, notamment l'étude des langues locales, les notions d'hygiène et de médecine les plus indispensables sous un climat équatorial 1 .

Un projet de statuts soumis aux instances romaines définit la situation juridique de la jeune institution :Art. 1. Sous la juridiction immédiate de la S. Congrégation de la Propagande et avec l'assentiment préalable de l'Éminence Préfet de cette Congrégation, il est établi en Belgique une association de prêtres séculiers ayant pour but de desservir en qualité d'aumônier, les stations actuelles et futures de l'État libre du Congo. Le siège de cette association est fixé à Louvain. L'association aura la forme d'un séminaire et sera régie par des règles conformes à celles du séminaire des Missions étrangères de Paris, selon les vœux de son Ém. le Préfet de la Propagande.

‘En attendant la confection du règlement et son approbation par la S. C. de la Propagande les élèves suivront les statuts du Séminaire de Malines.’ ‘Le séminaire sera placé sous la protection de S.M. le Roi des Belges et relèvera au spirituel de S. G. l'Archevêque de Malines et de ses suffragants. ’ ‘Art. 2. Le dit séminaire sera dirigé par un Supérieur nommé par S. G. l'Archevêque de Malines et reconnu par ses évêques suffragants et agréé par la Propagande. Le supérieur pourra de concert avec l'Archevêque désigner un Préfet des études, un économe chargé des intérêts matériels et les autres maîtres de la maison. ’ ‘Art. 3. Au moins dans la période initiale de l’œuvre, S. G Mgr l'Archevêque nommera un dignitaire ecclésiastique qui sera son délégué et celui de ses suffragants en même temps que le délégué de S. M. le Roi des Belges auprès de la Propagande et des évêques. Ce délégué formera avec le Supérieur, le maître des études et l'économe, le conseil central de l'œuvre. l'Archevêque pourra adjoindre à ce conseil un ou deux membres 2 .’

Si officiellement le séminaire africain est une institution de l'Église, dans la réalité, il reste une fondation de Léopold II qui est convaincu que la réussite de son entreprise coloniale dépend grandement de ses compatriotes missionnaires. Il n'hésitera pas, sous couvert des autorités ecclésiastiques belges, de promettre aux missionnaires qui sortiront du séminaire africain, une retraite honorable après les labeurs de leur ministère au Congo. Comme protecteur de la mission belge du Congo, le roi promet aussi d'assurer aux missionnaires, les facilités et les ménagements que les circonstances exigeront au point de vue de l'habitation, de l'alimentation, des moyens de transport et de la durée du séjour en Afrique 1 .

Plusieurs prêtres répondent à l'appel de leurs évêques : Ferdinand Huberlant, qui fait son entrée en décembre 1886. Un autre prêtre, mais plus jeune celui-ci, entre à la fin du mois de janvier 1887, c'est Camille Van Ronslé. Aussitôt après lui entre Albert De Backer, prêtre séculier qui était déjà à la Maison-Carrée des Pères Blancs. Enfin, un quatrième prêtre, d'une quarantaine d'années, l'abbé Reynen, prêtre du diocèse de Liège.

Quelques mois plus tard entre un théologien, Bernard Frederick. Une sixième recrue se présente, un jeune homme d'une vingtaine d'années, Bernard Dierkes, n'ayant pas encore fait d'études moyennes, on lui fait faire le latin 2 .

Mgr Pieraerts, recteur de l'Université de Louvain, obtient que le Séminaire africain dépende officiellement de l'Université. Un jeune professeur, l'abbé erbis 3 , du diocèse de Namur, est nommé Président.

Pour subvenir aux premiers frais, le jeune président a recours à la générosité des bienfaiteurs : en tête de ceux-ci, comme on pouvait s'y attendre, le roi et la reine, le comte de Bergeyck et le comte Joseph de Hemptinne.

Pour assister le Président du Séminaire, on lui adjoint un jeune prêtre, l'abbé De Wild, originaire de la Campine anversersoise 1 . C'est lui qui assume les fonctions de président, en l'absence de celui-ci.

Léopold II, véritable inspirateur du Séminaire, continue à s’y intéresser vivement. Il reçoit à plusieurs reprises son Président à la cour, et à l'occasion de l'une de ces réceptions, le roi fait remarquer à son invité avec instance le «devoir des catholiques belges de s'intéresser à la conversion des noirs du Congo» 2 .

Quand, après la fusion du Séminaire africain avec la Congrégation de Scheut, l'abbé Forget cessera de s'occuper du Séminaire, le roi va hâter de le nommer chevalier de l'ordre de Léopold. On dit même que plusieurs fois, le monarque avait insisté auprès de l'évêque de Namur pour que Forget soit nommé chanoine honoraire de la cathédrale 3 .

Malgré les débuts encourageants de ce Séminaire, certains esprits conservaient des doutes sur la vitalité d'une institution qui n'avait ni le caractère, ni les avantages d'une Congrégation religieuse. Aussi dès le mois d’octobre 1886, des nouvelles propositions sont-elles faites à la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie (CCIM).

Entre l'État Indépendant du Congo et l'épiscopat belge d'une part, et la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie, d'autre part, il était convenu que celle-ci accepterait la direction de la maison de Louvain, mais pas au détriment de ses missions de Chine. La maison serait une maison d'études, commune à deux sections distinctes, celle de la Chine et celle du Congo, les candidats faisant dès leur entrée leur choix entre les deux 4 .

Mais les difficultés se présentaient dans la pratique. La formation d’un clergé régulier et d’un clergé séculier dans un même établissement n'allait-elle pas se faire mutuellement tort ? La section africaine trouverait-elle le moyen de faire corps, en Belgique et surtout au Congo ? Aurait-elle le personnel nécessaire pour faire face aux besoins immédiats et suivants d'une mission nouvelle, en pays neuf, sans démunir complètement sa maison ?

Ce dernier point étant le plus urgent, on décide, dans un premier temps, qu’au moins deux missionnaires de Scheut se chargent de conduire la première caravane au Congo et d'aider à l'organisation de la mission. Au vu de l'étendue et de l'urgence des besoins, l'État Indépendant du Congo propose finalement aux Missionnaires de Scheut de se charger de toute la Mission du Congo 1 .

Notes
2.

Le séminaire était établi dans le château de Crainhem. Le Père MERLON qui devait partir quelque temps plus tard au Congo en fut le directeur. Lire BAUNARD, Le cardinal Lavigeriet. 2, p. 377.

1.

ANONYME, « Informations diverses » MC., 1886, p. 148, col. 2.

2.

ALEXIS, Le Congo belge, 1892, p. 184-185 ; voir aussi ARCCIM, Z/III/b/1.3.3.

3.

Annuaire de l'Université catholique de Louvain, 1887, p. 391-395; 1888, p. 420-424.

1.

Ibidem

2.

Projet de Statuts provisoire concernant l’érection d’un séminaire à établir à Louvain, APF, SC, Africa, Angola, vol. 8, N° 853-854 (manuscrit)

1.

Annuaire de l'Université catholique de Louvain, op.cit., 1887, p. 391-395; 1888, p. 420-424.

2.

F. HUBERLANT, né le 18 décembre 1853 à Marchienne-au-Pont, a été ordonné prêtre le 13 octobre 1878. Il a été pendant plusieurs années vicaire à Binche.

Camille VAN RONSLÉ, né le 18 septembre 1862 à Lovengeghem, est ordonné prêtre le 16 décembre 1886. Il sera le premier Vicaire Apostolique du vicariat de l'État Indépendant du Congo.

Albert De BACKER, né en 1851 à Maustier-au-Bois, est ordonné prêtre le 6 janvier 1878. Après avoir occupé plusieurs places dans le clergé séculier, il était déjà à la Maison-Carrée des Pères Blancs quand il apprend la fondation du Séminaire de Louvain.

L'abbé REYNEN, limbourgeois, originaire de Peer et prêtre du diocèse de Liège.

Bernard FREDERICK, scolastique chez les Jésuites dans le diocèse de Paderborn, il avait été chassé de l'Allemagne par la Kulturkampf.

Bernard DIERKES, né en 1866 à Riesenbeek en Westphalie.

3.

L'abbé FORGET, prêtre du diocèse de Namur, a été nommé professeur d'arabe en 1885, après avoir terminé ses études à Beyrouth et à Berlin.

1.

Van RONSLÉ, Origine des Missions de Scheut au Congo, ARCCIM, Z/III/b/1.3.3. (Notes dactylographiées), p.17.

2.

Idem, p. 18.

3.

MARCHAL, L’État libre du Congo…, p. 166.

4.

Van RONSLÉ, Origine des Missions de Scheut…, p. 19.

1.

de BETHUNE, L., Les missions catholiques d'Afrique, Bruxelles, 1899, 295-296.