2. 2. En route vers la brousse congolaise

Tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'implantation des missionnaires belges au Congo, connaissent bien l'ouvrage de Léon Dieu, Dans la brousse congolaise. Sans son sous-titre, Les origines des Missions de Scheut au Congo, on peut difficilement deviner le contenu de ce livre. Et pourtant l'emploi du terme “brousse” n'est pas anodin ici. Si dans son premier sens, il désigne la « végétation arbustive dégradée des pays tropicaux » 2 , en Afrique, à l'époque coloniale et encore aujourd'hui, la « brousse », c'est la zone éloignée des centres urbains, c'est la campagne, le bled. Dans le langage de missionnaires belges, “faire la brousse” signifiait “aller en visite pastorale dans des villages en dehors du poste central de mission”.

Mais lorsqu'on se trouve en Europe, en cette dernière moitié du 19e siècle, l'Afrique subtropicale entière est une « brousse » au sens propre et figuré : une zone éloignée de la vie urbaine, c'est-à-dire moderne, un espace en marge de la « civilisation », un champ inculte qui n'attend que le zèle du missionnaire.

La congrégation missionnaire appelée, par le Saint-Siège et le roi des Belges, à prendre en charge l’évangélisation de la brousse congolaise a pour nom la Congrégation du Cœur Immaculée de Marie (CCIM en abrégé) ; Théophile Verbist est son fondateur. Celui-ci est né à Anvers le 12 juin 1823. Il étudie au petit, puis au grand séminaire de Malines, il est ordonné prêtre le 18 septembre 1847. En 1853, il est nommé aumônier de l'école militaire à Bruxelles et en même temps directeur d'une communauté des sœurs de Notre-Dame de Namur, présentes depuis 1840 dans divers pays de mission. C'est, dit-on, en prière dans leur chapelle, qu'il aurait conçu le projet de devenir missionnaire. Directeur général de l'Œuvre de la Sainte-Enfance en 1860, il découvre le manque d'orphelinats en Chine. Sa vocation doit s'en être trouvée renforcée 1

Le 25 octobre 1860, à Pékin, un traité est signé entre la Chine, la Grande-Bretagne et la France. Cet événement consolide Verbist dans son projet d'aller en Chine fonder un orphelinat, en compagnie de quelques prêtres belges. Ce projet, modeste au départ, après avoir subi les critiques pertinentes des Cardinaux Engelbert Sterckx, archevêque de Malines (1832-1867) et Alessandro Barnabo, préfet de la Congrégation pour la Propagation de la foi (1856-1874), se transforme en fondation d'une Congrégation religieuse belge pour la Mission en Chine. En 1862, un projet de statuts des Prêtres de la Mission belge en Chine est proposé, à Mgr Mieczyslaw Halka, nonce apostolique à Bruxelles. La Congrégation nouvelle aura comme objectif la conversion des infidèles, l'évangélisation des Chinois ainsi que le salut des enfants abandonnés 2 .

Pour que la Mission soit réellement belge et le demeure, on érige un noviciat à Bruxelles. Le 19 juin 1862, Verbist loue, à Scheut, dans la banlieue bruxelloise, une maison où est établi le noviciat. Cette situation géographique sera à l'origine du nom donné aux disciples de Verbist : les missionnaires de Scheut ou Scheutistes.

Le 28 novembre 1862, le Cardinal Sterckx érige canoniquement la nouvelle institution sous le nom de Congrégation des Prêtres de la Mission belge en Chine. Elle a pour but la formation et l'envoi de prêtres désireux d'annoncer l'Évangile aux infidèles, surtout ceux de l'Empire de Chine.

Comme on le voit, les Scheutistes sont donc, à l'origine, destinés à la Chine. C'est sur l’insistance de Léopold II qu'ils s'intéressent au Congo.

En effet, les relations entre le roi et les prêtres de Scheut remontent à l'époque où il n'était encore que duc de Brabant. Avant son avènement en 1865, le Prince héritier cherchant des débouchés, entre autres en Chine, et des terres lointaines pour le trop-plein de la population belge, échoue partout. Il décide alors, comme nous l'avons indiqué plus haut, en août 1875, de se tourner vers l'Afrique. L'année suivante, il parvient à réunir la fameuse Conférence géographique de Bruxelles qui aboutit à la création de l'Association Internationale Africaine. Le 10 octobre de cette année 1876, à l'occasion d'un dîner au château de Laeken, le roi s'entretient avec Frans Vranckx, supérieur général des Scheutistes, de l'éventualité du concours des missionnaires belges à la création de stations scientifiques et hospitalières en Afrique équatoriale.

Vranckx approuve personnellement la suggestion royale et sonde l'opinion de deux missionnaires de Chine à ce sujet, Alfons Devos et Remi Verlinden. Mais suite à l'initiative, déjà évoquée, de Mgr Lavigerie, proposant, le 2 janvier 1878, la création de quatre missions en Afrique centrale, la Propagande suggère aux Scheutistes d'entreprendre l'évangélisation d'une de ces missions.

Vranckx considère qu'il n'est pas opportun de se lancer dans l'aventure africaine pendant que le développement des missions de Chine et de Mongolie exige un personnel de plus en plus nombreux 1 .

Devenu souverain du nouvel État Indépendant du Congo en avril 1885, Léopold II, qui a cherché en vain le concours d'autres religieux belges, encourage et finance, comme déjà indiqué, l'institution d'un Séminaire Africain à Louvain. L'expérience de ce séminaire ne dure pas. Le roi se tourne à nouveau vers les Scheutistes.

Un chapitre général de la Congrégation est prévu, en Chine, au printemps de 1887. Le Cardinal Goossens charge les Pères Gueluy et Van Aertselaer de s'y rendre en qualité de commissaires. L'acceptation de la mission du Congo y sera proposée. La réunion générale s'ouvre à Eulchesanhao, le 16 mai 1887. Gueluy, premier assistant depuis mai 1884, présente le 27 mai un rapport circonstancié sur la question du Congo. Les jours suivants, les délégués discutent longuement sur l’éventualité de l'acceptation de la mission congolaise. Finalement la réunion opte, à l'unanimité, pour une coopération indirecte. Moyennant l'approbation de Rome, la Congrégation mettra deux missionnaires à la disposition de l'autorité compétente pour l’œuvre africaine. Au noviciat de Scheut comme à la maison d'étude prévue à Louvain, on admettra tous les candidats qui auront manifesté à leur évêque le désir de se consacrer à la mission du Congo 2 .

Élus respectivement supérieur général et assistant, Van Aertselaer et A. Van Hecke repartent pour l'Europe le 7 juillet. Lors de son passage à Rome, le 10 septembre, Van Aertselaer communique au Cardinal Giovanni Simeoni, préfet de la Propagande, la décision de la réunion générale. Mais la Sacrée Congrégation estime que cette réponse est insuffisante : malgré le nombre encore restreint de ses membres – 49 pères et 17 scolastiques – la Congrégation de Scheut doit s'engager en tant qu'Institut et entreprendre l'évangélisation du Congo 1 .

Ce constat de Rome a le poids d'une décision. L'affaire est ainsi close. Il ne reste plus aux Scheutistes qu'à se préparer à aller « affronter le soleil brûlant de l'Équateur » 2 .

Notes
2.

VARROD, P. (Sous la dir. de), Le Robert illustré d'aujourd'hui, France Loisirs, Paris, 2000, p. 197, col. 1.

1.

Lire VERHELST, D., «La mission belge en Chine 1862-1887», dans VERHELST, D. et DANIËLS, H., Scheut. Hier et Aujourd'hui 1862-1987. Histoire de la Congrégation du Cœur Immaculée de Marie C.I.C.M., PUL, 1993, p. 25-64.

2.

Idem, p. 32.

1.

BONTINCK, F., «Les débuts des missions au Congo», dans VERHELST et DANIËLS, Scheut hier et Aujourd'hui..., p. 116

2.

Van RONSLÉ, op.cit., p. 17.

1.

BONTINCK, « Les débuts...», op.cit., p. 118-120.

2.

Voici ce que le Baron de BETHUNE écrivait, en 1891, au sujet de l'acceptation de la mission du Congo par les Scheutistes: « Ne devait-on pas craindre que ces dignes missionnaires acclimatés dans les steppes glacées de la Sibérie chinoise reculeraient devant le fardeau d'une mission nouvelle, sous le soleil brûlant de l'Équateur ? Ceux qui exprimaient ces craintes connaissaient mal l'ardent patriotisme qui anime le clergé belge et surtout ceux de ses membres qu'une vocation irrésistible appelle au-delà des mers », dans Les missions catholiques d'Afrique, op.cit, p. 295-296.