3. 1. 3. Suppression de Berghe-Sainte-Marie

Dès le début, les scheutistes n’ont pas eu une vie matérielle aisée à Berghe-Sainte-Marie. Ils ont accumulé de nombreux handicaps.

D’abord, le transport. Alors que les missions protestantes disposent de steamers sur le fleuve et de points de soutien logistique dans le Bas-Fleuve, les Scheutistes de Berghe-Sainte-Marie se trouvent comme perdus loin à l’intérieur, dépendant pour leurs transports de tiers. Les scheutistes comptent sur l’État pour leurs déplacements, mais celui-ci n’a pas assez de vapeurs pour ses propres besoins. Avant d’acheter leurs propres pirogues, ils comptent sur celles des « indigènes » qui ne le leur prêtent jamais sans difficultés. Même lorsqu’ils auront acheté leurs propres pirogues, ils ne seront pas à l’abri de désagréables surprises : souvent elles leur sont volées. C’est seulement à partir de 1895 que les missionnaires de Berghe disposeront de leur propre vapeur baptisé Notre Dame de Perpétuel Secours. Son coût de 50.000 F est, en majeure partie, payé par la comtesse de Limminghe 3 .

Ensuite le ravitaillement en vivres. Sur ce plan, Berghe présente quelques sérieux inconvénients : l’eau potable est puisée à trop grande distance, les champs de manioc se trouvent de l’autre côté du Kwa (deux heures par pirogue aller-retour). La population locale, clairsemée, se compose essentiellement de gens qui s’occupent exclusivement du commerce de la bière de canne à sucre. Ici les hommes sont constamment en route pour ce commerce.

Dans plusieurs de ses lettres de 1889, Cambier se plaint des « indigènes » des environs qui ne veulent plus leur vendre de vivres. Les missionnaires doivent remonter le Kasaï soit pour chasser l’hippopotame soit pour acheter la cikwangue, les poules et les chèvres : « Comme vous le savez, je suis espèce de procureur ; les indigènes des environs ne veulent plus nous vendre ni poules, ni chèvres. Je vais donc partir dans deux ou trois jours au Kasaï en pirogue, avec 4 ou 5 Bangalas chercher aventure de chicaille et voir s’il n’y a pas moyen de tuer un hippo ou l’autre » 1 .

Enfin la maladie du sommeil est sans nulle doute le facteur qui a accéléré l’abandon de Berghe par les Scheutistes. Cette endémie, on le sait, a décimé de nombreuses populations au Congo. L’autorité coloniale en était inquiète. Elle commençait à douter de l’avenir de son œuvre. Celle-ci ne serait-elle pas hypothéquée s’il venait à manquer une main-d’œuvre nécessaire à la mise en valeur du nouvel État au cas où toutes les forces vives du pays seraient emportées par l’épidémie ?

Les missionnaires exprimaient les mêmes craintes tant ils voyaient leurs établissements se dépeupler et les listes des morts s’allonger.

Au début la nature et l’agent vecteur de la maladie sont demeurés inconnus. D’après le Père Varangot qui, en 1906, a observé l’épidémie en Ouganda, celle-ci serait « venue de la côte ouest de l’Afrique où elle était connue depuis longtemps. Le docteur Corre dans son traité sur les maladies en pays chauds la mentionne » 2 .

La maladie va donc se répandre rapidement, grâce à la multiplication des communications et aux déplacements des hommes.

Nous ne savons pas avec exactitude à quel moment le premier cas s’est déclaré à Berghe Sainte Marie à l’embouchure du Kasaï.

Le M.G. de 1890 signale la présence de cette maladie dans le Bas-Congo : « L’étrange maladie du sommeil exerce en ce moment des ravages inquiétants dans certains districts de la région des chutes. A Mbanza-Manteka, notamment, il a été constaté que sur 274 indigènes qui étaient inscrits sur le registre des conversions de la mission, 40 étaient morts de la maladie » 1 .

Il est établi que le long du Haut-fleuve, la maladie faisait déjà ses ravages au moment où Cambier et Van Ronslé fondent Nouvelles-Anvers.

En 1891, lors de son voyage en Europe, Cambier fait des conférences sur cette maladie 2 . On pense aujourd’hui que le Père Huberlant serait mort de cette maladie.

Toujours est-il que le 13 avril 1899, le Vicaire Apostolique, Van Ronslé, célèbre à Berghe-Sainte- Marie une messe de requiem solennelle «  pour 503 défunts du poste » 3 . Les statistiques montrent une augmentation constante constante de la mortalité dans cette mission des Scheutistes : 114 décès pour la période 1890-1894 ; 140 décès (90 enfants et 50 adultes libérés) entre 1895 et 1896 ; de 1897 au 31 mars 1900, on dénombre 353 décès. Il s’agit ici des enfants et des adolescents livrés par l’État à la colonie scolaire. Les chiffres ne comprennent ni les morts non-baptisés ni les disparus ou les fuyards 4 .

Le ravage de la maladie du sommeil était tel qu’en 1899 les ménages chrétiens commencent à fuir ce poste de la mort. En septembre le vicaire apostolique et le père Provincial, A. De Clerq, décident de déplacer la mission d’une lieue. En 1900, la situation à Berghe est catastrophique.

Le magistrat R. Breuer rapporte au gouverneur général, le 14 janvier, ce qu’il avait appris du commandant Adolphe Mahieu, le futur inspecteur d’État, qui, à cette époque, s’occupait de la construction de la ligne téléphonique Kinshasa-Coquilhatville :

‘La maladie du sommeil et la famine font des ravages affreux parmi les enfants de cet asile philanthropique. De trois à quatre cents enfants, il n’en restait environ que quatre-vingts. Ceux-ci s’efforcent de fuir ce séjour des morts ; ils se réfugient au poste de M. Mahieu pour implorer quelque nourriture ; les plus affamés volent ce qu’ils trouvent. M. Mahieu les exhorte en vain à retourner auprès des pères ; quand on veut les ramener, ils s’enfuient dans la forêt ou dans la brousse, préférant courir les risques de la vie errante que de s’exposer à la mort presque certaine qui les attend à la mission 5 .’

Un autre témoignage sur l’hécatombe de Berghe est celui du docteur Émile Van Campenhout de passage début avril 1900 : « En arrivant à Berghe-Sainte-Marie on serait au premier abord, tenté d’attribuer à la mauvaise nourriture, à l’encombrement et à la contagion les causes probables de l’épidémie [de la maladie du sommeil ] » 1 .

Il signale que Berghe comptait à son passage 250 habitants et qu’il y trouvait 82 personnes atteintes de la maladie du sommeil. Il les reconnaissait aux ganglions du cou gonflés. À cette époque rien n’était connu du parasite (trypanosoma) causant la maladie, ni de sa propagation par la mouche tsé-tsé.

La situation était tellement intenable à Berghe que le Provincial fut obligé d’évacuer le poste de la fin juin à mi-septembre 1900. Il envoie les enfants qui lui restaient à différentes destinations et les missionnaires s’installent à Léopoldville.

Notes
3.

MARCHAL, op.cit., t.2., p. 168.

1.

VELLUT, Émeri Cambier…, p. 124.

2.

VARANGOT, P., « Maladie du sommeil » in MPB, 1906, p. 107.

1.

ANONYME, M. G., 1890, p. 37, col. a

2.

VELLUT, op.cit., p. 30.

3.

MARCHAL, op.cit., t.2., p. 182.

4.

Idem, p. 181-182.

5.

Rapport du Magistrat BREUER, A.M.B.A..E, législation, M.588.

1.

MARCHAL, op.cit., t.2, p. 183.